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cueillette, agriculture

cueillette et de la chasse rudimentaire, à moins que les populations voisines, leurs supérieures en force physique, ne leur permissent ou même ne vinssent leur enseigner l’agriculture et les échanges ?

De même les Nuêr, cantonnés dans les marécages et sur les îles flottantes du Bahr-el-Djebel et du Bahr-el-Zeraf, ne sont-ils pas condamnés au travail exclusif de la pêche des graines et du poisson tant qu’ils resteront privés de toutes communications faciles avec les terres asséchées du continent ? Dans une partie du monde bien éloignée du bassin nilotique, les insulaires des Lofoten n’étaient-ils pas également voués par le destin à la capture du poisson de mer, avant que le va-et-vient des bateaux à vapeur eût rattaché ce littoral au reste de l’Europe ?

Ailleurs, quand des agriculteurs eurent déjà domestiqué des animaux et appris à utiliser le lait des femelles, la nature même assigna l’état pastoral aux habitants de vastes contrées, devenues inhabitables aux chasseurs à cause de la rareté du gibier ou non utilisables pour les laboureurs, par suite de l’insuffisance des pluies : ces terres ne se prêtent qu’au parcours des bestiaux qui, après avoir brouté l’herbe d’un district, se transportent rapidement vers d’autres parties de la steppe également riches en pâturages. Le cultivateur qui s’est instruit dans l’art de faire paître les bêtes autour de sa demeure et qui requiert soit leur aide dans le travail, soit leur lait, soit même leur viande, et les protège en conséquence contre les bêtes féroces, celui-là peut hardiment se faire berger et quitter la région des forêts ou les bords de la mer et des fleuves pour suivre ses animaux apprivoisés dans les prairies sans bornes, même dans les pâturages des montagnes voisines, par delà les rochers et les torrents. Des terrains d’un autre caractère, ici des espaces de sables, d’argiles, de roches ou de cailloux, plus loin des plateaux neigeux ou des cols de montagnes forment des zones intermédiaires entre des pays de productions différentes, et elles restent interdites par la nature aux laboureurs et aux bergers ; entre deux territoires utilisés, ces régions difficiles ne peuvent être parcourues que par des porteurs trafiquants, soit isolés, soit marchant en groupes ou bien accompagnés de bêtes sommières.

En toute région naturelle, les contrastes du sol, de la végétation, des produits se complètent par un autre contraste, celui des populations et de leur industrie. L’ambiance explique l’origine de ces diffé-