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le milieu dynamique

caractère, déterminé par des éléments autres que celui du milieu banal, réagit contre son ambiance. Si difficiles sont les problèmes de l’histoire relatifs à la succession des milieux que d’ordinaire on les écarte sommairement, en arguant d’une prétendue différence essentielle de ce que l’on appelle les « races ». Après avoir cherché à comprendre les influences immédiates agissant d’une manière évidente, on met volontiers tous les autres traits du caractère national sur le compte de la race présumée. Mais qu’est la race elle-même avec toutes ses caractéristiques de stature, de proportions, de traits, d’ampleur cérébrale, qu’est-elle, sinon le produit des milieux antérieurs se multipliant à l’infini, pendant toute la période qui s’est écoulée depuis l’apparition des souches initiales du genre humain[1] ? Ce que l’on appelle « hérédité des caractères acquis »[2] n’est autre chose que cette action successive des ambiances. La race est déterminée comme l’individu, mais elle y met le temps nécessaire.

L’histoire de l’humanité, dans son ensemble et dans ses parties, ne peut donc s’expliquer que par l’addition des milieux avec « intérêts composés » pendant la succession des siècles ; mais pour bien comprendre l’évolution qui s’est accomplie, il faut apprécier aussi dans quelle mesure les milieux ont eux-mêmes évolué, par le fait de la transformation générale, et modifié leur action en conséquence. Ainsi telle montagne qui jadis épanchait de longs glaciers dans les plaines, et dont nul ne gravissait les formidables pentes, a cessé d’arrêter le mouvement des nations quand de larges cols, à peine obstrués par les neiges ou même complètement libres, ont ouvert un chemin entre les pitons, et que des voies souterraines l’ont franchie, parcourues par des voitures emplies d’oisifs et de dormeurs. De même, tel fleuve, qui put être un puissant obstacle à de faibles tribus inhabiles à la navigation, devient plus tard la grande artère de vie pour les bateliers de ses rivages.

Au bord de l’Océan, telle « Fin des Terres », comme le promontoire de Sagres, se transforma en un point de départ pour la découverte des continents inconnus. La plaine constitue, pour le mouvement de la civilisation, un monde tout différent quand elle

  1. Friedrich Ratzel, Völkerkunde, tome II, page 5.
  2. Matteuzzi, Les Facteurs de l’Evolution des Peuples, p. 19.