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l’homme et la terre. — milieux telluriques

maladies nombreuses, de contagions soudaines, changeant selon pays et latitudes, et se propageant à l’infini dans l’ensemble des forces qui déterminent l’humanité.

Au milieu-espace, caractérisé par les mille phénomènes extérieurs, il faut ajouter le milieu-temps, avec ses transformations incessantes, ses répercussions sans fin. Si l’histoire commence d’abord par être « toute géographie » comme le dit Michelet, la géographie devient graduellement « histoire » par la réaction continue de l’homme sur l’homme. Chaque individu nouveau qui se présente, avec des agissements qui étonnent, une intelligence novatrice, des pensées contraires à la tradition, devient un héros créateur ou un martyr ; mais, heureux ou malheureux, il agit et le monde se trouve changé. L’humanité se forme et se reforme avec ses alternances de progrès, de reculs et d’états mixtes, dont chacune contribue diversement à façonner, pétrir et repétrir la race humaine.

Comment énumérer tous ces faits dont l’action se succède avec les sociétés et les renouvelle constamment ? Les migrations, les croisements, les voisinages de peuples, les va-et-vient du commerce, les révolutions politiques, les transformations de la famille, de la propriété, des religions, de la morale, l’accroissement ou la diminution du savoir, autant de forces qui modifient l’ambiance et en même temps influent sur la part d’humanité baignée dans le milieu nouveau. Mais rien ne se perd : les causes anciennes, quoiqu’atténuées, agissent encore secondairement, et le chercheur peut les trouver dans les courants cachés du mouvement contemporain, de même que l’eau, disparue du lit primitif de la surface, se retrouve dans les galeries des cavernes profondes. Aussi a-t-on pu dire, en toute vérité, que « les morts gouvernent les vivants ». « Le mort saisit le vif ». D’après un proverbe cafre, dont les blancs peuvent tirer profit aussi bien que les noirs, « le fait est fils d’un autre fait, et il ne faut jamais en oublier la généalogie ».

Ainsi, le milieu général se décompose en éléments innombrables : les uns appartenant à la nature extérieure et que l’on désigne fréquemment comme le « milieu » par excellence, l’ambiance proprement dite ; les autres, d’ordre différent puisqu’ils proviennent de la marche même des sociétés et se sont produits successivement, accroissant à l’infini — par multiplication — la complexité des phénomènes actifs.