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l’homme et la terre. — milieux telluriques

Suivant les circonstances, ils étaient commerçants ou pirates : en tel lieu de troc où ils n’auraient pas été les plus forts, ils se présentaient comme des marchands honnêtes, échangeant leurs denrées conformément aux règles convenues du droit des gens que commandent les intérêts réciproques ; ailleurs, ils apparaissaient en ennemis, saccageant les villages, tuant les hommes, enlevant les femmes et les enfants pour en faire des esclaves.

La haine traditionnelle entre primitifs, différant par le milieu, la profession, la compréhension générale des choses, justifia longtemps ces atrocités.

Les Phéniciens et les Carthaginois dans les temps anciens, les Viking au moyen Age et récemment les Barbaresques, les corsaires malais et chinois sont des exemples de ces peuples maritimes, ennemis des gens de la terre ferme. Tour à tour trafiquants ou pirates, suivant les avantages du moment, ils étaient à la fois destructeurs par le ravage, le massacre et l’asservissement, civilisateur, par l’apport des marchandises, par les idées nouvelles qu’ils semaient en route, parfois aussi par les croisements qui faisaient naître des familles plus aptes au changement et au progrès.

Il est certainement indispensable d’étudier à part et d’une manière détaillée l’action spéciale de tel ou tel élément du milieu, froidure ou chaleur, montagne ou plaine, steppe ou forêt, fleuve ou mer, sur telle peuplade déterminée ; mais c’est par un effort d’abstraction pure que l’on s’ingénie à présenter ce trait particulier du milieu comme s’il existait distinctement, et que l’on cherche à l’isoler de tous les autres pour en étudier l’influence essentielle.

Même là où cette influence se manifeste d’une manière absolument prépondérante dans les destinées matérielles et morales d’une société humaine, elle ne s’entremêle pas moins à une foule d’autres incitatifs, concomitants ou contraires dans leurs effets. Le milieu est toujours infiniment complexe, et l’homme est par conséquent sollicité par des milliers de forces diverses qui se meuvent en tous sens, s’ajoutant les unes aux autres, celles-ci directement, celles-là suivant des angles plus ou moins obliques, ou contrariant mutuellement leur action. Ainsi, la vie de l’insulaire n’est pas uniquement déterminée par l’immensité des flots qui l’entourent : il faut aussi tenir compte du