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lacs, fleuves et riverains

dans l’histoire de l’humanité : les fleuves sont, en comparaison, les principaux agents de la vie par la navigation, par les progrès agricoles, les migrations de proche en proche et ce que l’on appelle du mot compréhensif de « civilisation ».

C’est en pensant aux conquêtes de toute nature, assurées à l’homme par le mouvement des rivières, qu’il faut répéter le mot de Pindare : « L’eau est ce qu’il y a de mieux » !

Telle a été l’influence capitale des eaux mouvantes sur l’histoire de l’homme — devenu lui-même mobile par l’effet de leur inconstance de niveau — que des penseurs, notamment Léon Metchnikoff, dans ses Grands Fleuves historiques, ont négligé à tort tous les autres éléments du milieu dans leurs études sur le développement des nations. Pendant la période transitoire qui suivit les âges primitifs et qui embrassa les grandes périodes de civilisation déjà très avancée de l’Egypte et de la Potamie chaldéenne, de la Chine, de l’Indus et de la Gangâ, pour se terminer aux temps helléniques, ils n’ont vu que les fleuves comme agents essentiels du progrès humain.

Par l’effet de circonstances diverses dans le milieu géographique, certains cours d’eau, coupés de barrages naturels, ou bien obstrués d’herbes et s’étalant en marécages, se trouvent privés de leur rôle favorable à l’homme en tout ou partie de leur cours. Il en est que les populations de l’intérieur ne pouvaient aborder à cause des forêts à demi noyées ou des roselières impénétrables qui en défendaient les rives indécises, constamment modifiées par la lenteur des eaux et les oscillations du courant.

Encore un très grand nombre de rivières, surtout dans les régions tropicales à végétation touffue, sont forcément évités par les tribus riveraines, autres que les peuplades de bateliers : jadis, avant que le travail d’aménagement de la planète eût commencé, la plupart des cours d’eau, même ceux qui eurent plus tard une influence majeure sur les destinées de l’humanité, tels le Nil et les fleuves jumeaux de Chaldée, d’Indoustan et de Chine, furent longtemps inabordables aux habitants des terres émergées.

Green cite l’exemple des rivières de l’Angleterre qui ont pris une importance si considérable dans l’organisme national et dont les riverains s’écartaient avec soin avant l’époque romaine et celle des peuples marins envahisseurs : les anciennes villes étaient bâties sur les