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ouvertement aux prêtres et aux moines, mais que de milliards encore ils possèdent sous les noms de vieux messieurs et d’antiques douairières ! Des jacobins se réjouissent presque de voir ces propriétés immenses s’accumuler dans les mêmes mains, espérant que d’un seul coup l’État pourra s’en emparer un jour : remède qui déplacerait la maladie mais ne la guérirait point ! Ces propriétés, produits du vol et du dol, il faut les reprendre pour la communauté puisque jadis elles furent siennes. Elles font partie du grand avoir terrestre appartenant à l’ensemble de l’humanité.

Transportons-nous par l’imagination aux temps à venir de l’irréligion consciente et raisonnée. Quelle sera dans ces conditions nouvelles, l’œuvre par excellence des hommes de bonne volonté ? Remplacer les hallucinations par des observations précises, substituer aux illusions du paradis que l’on promettait aux faméliques les réalités d’une vie de justice sociale, de bien-être, de travail rythmé, trouver pour les fidèles de la religion humanitaire un bonheur plus substantiel et plus moral que celui dont les chrétiens se contentent actuellement. Ce qu’il fallait à ceux-ci, c’était de n’avoir point le pénible labeur de penser par eux-mêmes et de chercher en leur propre conscience le mobile de leurs actions ; n’ayant plus de fétiche visible comme nos aïeux sauvages, ils tiennent à posséder un fétiche secret qui panse leurs blessures d’amour-propre, qui les console dans leurs chagrins, qui leur rende les heures de maladie moins longues et leur assure même une vie immortelle, exempte de tout souci. Mais tout cela pour eux personnellement : leur religion n’a cure des malheureux qui continuent à leur péril la dure bataille de la vie ; comme les spectateurs de la tempête dont parle Lucrèce, il leur est doux de voir, de la plage, les gestes des naufragés luttant contre les flots. Ils peuvent relire dans les Évangiles cette vilaine parabole de Lazare « couché dans le sein d’Abraham » et refusant de tremper le bout de son doigt dans l’eau pour rafraîchir la langue des mauvais riches. (Luc XVI).

Notre idéal de bonheur n’est point cet égoïsme chré-