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encore, sous la haute protection de la République, ils ont été les maîtres absolus, incontestés.

Tous les éléments de la réaction étaient alors unis sous le même labarum symbolique, le « signe de la Croix » ; il eût été naïf de se laisser tromper par la devise de ce drapeau : il ne s’agissait plus ici de la foi religieuse, mais de la domination, la croyance intime n’était qu’un prétexte pour la majorité de ceux qui veulent garder le monopole des pouvoirs et des richesses ; pour eux le but unique était d’empêcher à tout prix la réalisation de l’idéal moderne, le pain pour tous, la liberté, le travail et le loisir pour tous. Nos ennemis, quoique se haïssant et se méprisant les uns les autres, avaient dû pourtant se grouper en un seul parti. Isolées, les causes respectives des classes dirigeantes étaient trop pauvres d’arguments, trop illogiques pour qu’elles pussent essayer de se défendre avec succès ; il leur était indispensable de se rattacher à une cause supérieure, à Dieu lui-même, le « principe de toutes choses », le « grand ordonnateur de l’Univers ». Ainsi, dans une bataille, les corps de troupes exposés abandonnent les ouvrages extérieurs nouvellement construits pour se masser au centre de la position, dans la citadelle antique accommodée par les ingénieurs à la guerre moderne.

Trop ardents à la curée, les gens d’église ont commis aussi la maladresse, d’ailleurs inévitable, de ne pas évoluer prestement avec le siècle. Encombrés par leur bagage de vieilleries, ils sont restés en route. Ils jargonnent en latin et cela suffit pour qu’ils ne sachent plus parler le français de Paris. Ils ânonnent la théologie de Saint-Thomas, mais cet antique verbiage ne leur sert plus à grand chose pour discuter avec les élèves de Berthelot. Sans doute, quelques uns d’entre eux, surtout les prêtres américains, en lutte avec une jeune société démocratique, soustraite au pouvoir de Rome, ont essayé de rajeunir leurs arguments, refourbi quelque peu leurs vénérables flamberges, mais ces façons nouvelles de controverse ont été mal vues en haut lieu, et le misonéisme a triomphé : le clergé se tient à l’arrière-garde, avec toute l’affreuse bande de magistrats, des