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l’homme et la terre. — l’angleterre et son cortège.

puisqu’elle l’était déjà par son fonctionnement naturel. Mainte caste était également accommodée en société de production, d’autant mieux que, pour faciliter le maintien des secrets industriels, un lien très étroit de communauté unissait tous les collaborateurs. Les castes commerciales furent de tous temps les intermédiaires principaux du trafic hindou : les Banyan du Gudjerat, qui monopolisèrent et gèrent maintenant encore presque tout le commerce de l’Afrique et de l’Arabie avec Bombay et la côte de Malabar, représentent un ensemble de castes vaisya de plus de cinq millions de Bengalais et, pendant ce siècle, on a vu naître une très puissante société commerciale composée uniquement de Nattecotechetti tamoul de l’Inde méridionale, qui, grâce à leur solidarité, couvrent maintenant de leurs banques et comptoirs la péninsule malaise et l’archipel indonésien[1].

Evidemment, l’Inde, toujours souple dans ses formes extérieures, quoique conservatrice et tenace dans ses idées fondamentales, saura également s’adapter au mouvement socialiste qui lui vient d’Europe, et cette adaptation sera d’autant plus facile que, sous l’influence de souvenirs ataviques, elle pourra être considérée par les participants comme une véritable restauration. Les Anglais ont désorganisé les communautés anciennes au profit des parasites de toute nature, princes, marchands et collecteurs d’impôts. Chaque village formait jadis un ensemble bien rythmé, où chacun était assuré de la possession du sol, des facilités du travail et d’un fonctionnement régulier de l’existence communautaire. Dans tous les villages aryens, les services publics étaient assurés par le choix de douze hommes qui travaillaient gratuitement pour les habitants en échange de l’entretien. Ainsi la commune avait son charpentier son cordonnier, son forgeron, son blanchisseur, son barbier. De même, en pays dravidien, les anciens groupements s’étaient maintenus jusqu’à une époque récente, et sous des formes archaïques fort curieuses que la brutale intervention du dominateur étranger disloque de plus en plus. Le fisc exigeant l’impôt, non de l’ensemble du village, mais du villageois comme individu, celui-ci doit s’ingénier personnellement pour gagner les annas et les roupies qu’il lui faudra verser dans les mains de l’exacteur. Sans doute, la conséquence normale de la désintégration des communes devrait être l’attribution

  1. Henri Deloncle, mémoire cité, p. 122.