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l’homme et la terre. — l’angleterre et son cortège.

l’industrie et le commerce n’ont pas encore rendus aussi mobiles que leurs frères chinois, ont une morale de caste qui correspond à ces conditions économiques. En effet, dans une grande agglomération d’hommes, il est impossible, ou du moins difficile, à un homme de haute caste d’éviter l’approche, parfois même le contact, des individus de basse classe qui souillent de loin par leur haleine les privilégiés d’extraction divine. Afin de se tenir, autant qu’il est possible, éloigné de tout souffle impur, le Malayâli, c’est-à-dire l’habitant du Malabar, prend soin de coucher dans la partie absolument centrale de la maison, qui est elle-même située au milieu du jardin, à distance égale des foules cheminant de l’autre côté du mur de terre. Mais si les villes sont rares dans les contrées où le régime de la caste est observé dans toute sa rigueur, on peut dire que, par contraste, un village continu s’étend le long des routes. C’est là ce qui frappait le grand voyageur arabe Ibn Batuta et ce qui étonne également de nos jours les visiteurs européens des côtes du Malabar ou de Ceylan : « Sur toute cette longueur du Pays du Poivre, qui est de deux mois entiers de marche, il n’est pas un seul endroit inculte, car chacun a son jardin et une maison au milieu de ce jardin, une barrière de bois séparant de la route le terrain de chaque habitant ». Le souci de la pureté familiale parfaite va si loin que chaque demeure porte un nom différent, suivant la caste de celui qui y réside : le brahmane de noble race et le brahmane inférieur, le puissant kchatrya et celui de moindre importance, le serviteur du temple, les gens de métier, le paria et le fils d’esclave constituent une hiérarchie à laquelle correspond exactement une hiérarchie de maisons diversement désignées.

D’ailleurs ces castes rigides, qui se croient immuables et qui devraient l’être en vertu des codes qu’ont dictés les anciens maîtres, ne cessent de se modifier suivant les changements économiques. Surtout dans les provinces du nord, où le mouvement de l’histoire se précipite plus vivement que dans le midi de la Péninsule, une constante évolution exalte certaines familles, en abaisse d’autres.

Tels brahmanes de haute aristocratie, comme ceux de l’Avuah, se sentent des êtres tellement supérieurs qu’ils ne consentiraient jamais à frayer avec d’autres « deux fois nés », par exemple avec les Nambours de la côte de Malayâlam. Mais un simple accident peut enlever le caractère sacré du brahmane : que la lèpre l’atteigne, et il déchoit aussitôt ; qu’il