Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome VI, Librairie universelle, 1905.djvu/61

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
45
fidji et colonies d’afrique

contact d’hommes supérieurs par l’intelligence et le savoir ont cependant produit leur effet. On peut citer en exemple les habitants de Freetown, la « Ville libre ». En dépit des différences d’origines et de leur déracinement, des hommes de toute provenance qui composent le peuple de Sierra-Leone, que le manque d’une langue nationale obligea de s’angliciser en adoptant l’idiome des anciens maîtres, sont incontestablement devenus l’élément civilisateur du littoral. Ils se disent « Anglais », et le sont en effet jusqu’à un certain point par leur initiative dans le travail et dans les entreprises commerciales : les artisans de Freetown, forgerons, menuisiers, charpentiers, constructeurs sont les plus estimés de la côte.

Chacune des nombreuses parts et parcelles de la surface terrestre que la Grande Bretagne s’est attribuée en domaine diffère des autres, non seulement par les mille conditions du sol, du climat, des habitants, mais aussi par les formes du gouvernement et de l’administration, suivant la docilité plus ou moins grande des populations et l’importance militaire des lieux occupés. Mais le fait subsiste que nombre de ces possessions sont des « colonies de la couronne », c’est-à-dire des terres dont le souverain des îles Britanniques est censé maître absolu, ordonnant à son gré et ne laissant aux habitants aucune autonomie. En réalité, les sujets épars de l’Angleterre ont la liberté qu’ils ont su conquérir. Chaque « colonie » est le théâtre d’une petite guerre locale dont les péripéties sont parfois sanglantes ; d’ailleurs, les oscillations de la lutte représentent en petit les mêmes alternatives que les grands conflits épiques racontés dans l’histoire des nations.

Le grand bassin du Nil, des régions équatoriales à la Méditerranée et des montagnes dites de la « Lune » à celles de l’Ethiopie, constitue un monde spécial, bien délimité, qui n’est ni colonie de peuplement, ni colonie d’exploitation proprement dite, mais qui doit être étudié tout à fait à part, comme centre de domination. Ce n’est pas l’Egypte seulement que les Anglais détiennent en conquérants mais le chemin de l’Inde, de même que Gibraltar et Malte sont pour eux, avant tout, la possession des voies de la Méditerranée. C’est donc surtout une valeur stratégique que représente l’Egypte, au centre même de l’Ancien Monde, exactement à moitié chemin de l’Angleterre à l’Hindoustan, à l’endroit où l’industrie a creusé la percée de Suez que les possesseurs peuvent fermer à volonté, poste dominateur d’importance capitale