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l’homme et la terre. — progrès

où l’on constate tel phénomène inconnu dans le mouvement des astres.

La théorie, jadis fameuse, de Vico sur les corsi et les ricorsi, le flux et le reflux des évolutions historiques, se trouve aussi écartée de la discussion comme l’hypothèse du déplacement successif des centres de culture. Sans doute, une société fermée, se comportant comme un individu distinct, doit avoir une tendance naturelle à se développer suivant des oscillations rythmiques, aux périodes d’activité succédant aux heures de repos, et, quand le travail recommence, l’emploi des mêmes éléments en des conditions analogues doit amener un fonctionnement presqu’identique. Le va-et-vient de la démocratie au régime des tyrans et des tyrans au gouvernement populaire a pu se faire ainsi avec un balancement semblable à celui de l’horloge. Mais, dès que la science de l’histoire s’est agrandie et que les éléments ethniques se trouvent diversement augmentés, le trouble doit nécessairement se produire dans l’alternance rythmée des événements : le flux et le reflux prennent une telle ampleur et s’entremêlent d’une manière si variée qu’on ne peut les reconnaître avec certitude ; et c’est, pour une bonne part, afin de les retrouver dans une belle ordonnance que l’on a remplacé la figure plane où se meut le balancier de Vico par une courbe sans limite aux spires ascendantes. C’est bien là une image poétique telle que Gœthe aimait à les dessiner ; toutefois elle ne répond à la réalité que très lointainement. Il est vrai, l’enchevêtrement infini des faits historiques se présente à ceux qui l’étudient de haut comme se déployant en grandes masses ; à l’intérieur se produit incessamment un mouvement d’action et de réaction, et la résultante des forces diverses en conflit ne peut jamais entraîner l’humanité suivant une ligne droite. L’ensemble du prodigieux foisonnement n’est certes point dépourvu de déroulements harmoniques, d’admirables oscillations dans les mille détails de ses tableaux, mais les formes géométriques, si élégantes soient-elles, sont insuffisantes pour donner une idée de ses ondulations sans fin.

Cette extension même du champ d’études, croissant avec les révolutions et les siècles, constitue un des principaux éléments du progrès : l’humanité consciente s’est constamment accrue en proportion même de l’assimilation géographique des terres lointaines au monde déjà scruté scientifiquement. Et, tandis que l’explorateur conquiert l’espace et permet ainsi aux hommes de bon vouloir d’associer leurs efforts d’un