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société des hommes de désir

Si graves, si pleines de conséquences que puissent être dans leurs détails les dissensions entre les gouvernements rivaux, ces disputes, même suivies de guerre, ne peuvent avoir des suites analogues à celles des luttes d’autrefois qui firent disparaître les Hittites, les Elamites, les Sumériens et Accadiens, les Assyriens, les Perses, et, avant eux, tant de civilisations dont les noms même nous sont inconnus. En réalité, toutes les nations, y compris celles qui se disent ennemies, ne constituent, en dépit de leurs chefs et malgré les survivances de haines, qu’une seule nation dont tous les progrès locaux réagissent sur l’ensemble et constituent un progrès général. Ceux que le « philosophe inconnu » du dix-huitième siècle appelait les « hommes de désir, c’est-à-dire ceux qui veulent le bien et qui travaillent à le réaliser, sont assez nombreux déjà, assez actifs et assez harmonieusement groupés en une nation morale pour que leur œuvre de progrès l’emporte sur les éléments de régrès et de dissociation que produisent les haines survivantes.

C’est à cette nation nouvelle, composée d’individus libres, indépendants les uns des autres, mais d’autant plus aimants et solidaires, c’est à cette humanité en formation qu’il faut s’adresser pour la propagande de toutes les réformes que l’on croit désirables, de toutes les idées qui paraissent justes et rénovatrices. La grande patrie s’est élargie jusqu’aux antipodes, et c’est parce qu’elle a déjà conscience d’elle-même qu’elle éprouve le besoin de se donner une langue commune : il ne suffit pas que les nouveaux concitoyens se devinent d’un bout du monde à l’autre, il faut qu’ils se comprennent pleinement. On peut en conclure en toute certitude que le langage désiré verra le jour : tout idéal fortement voulu se réalise.

Cette union spontanée des hommes de bonne volonté par-dessus les frontières ôte toute valeur rectrice aux « lois », faussement ainsi nommées, que l’on a déduites de l’évolution antérieure de l’histoire et qui, d’ailleurs, méritent d’être classées dans la mémoire des hommes comme ayant eu leur vérité relative. Ainsi doit-on se souvenir de la théorie d’après laquelle la civilisation aurait cheminé autour de la Terre dans le sens de l’Orient à l’Occident, à l’instar du soleil, et déterminé son foyer de mille ans en mille ans sur le pourtour de la planète. Des historiens, frappés de l’élégante parabole décrite par la marche de la civilisation entre la Babylone antique et nos Babylones modernes, formulèrent cette loi de la précession de la culture. Toutefois, dès avant l’époque de l’efflorescence