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l’homme et la terre. — progrès

mérité le nom « d’humanisme », parce qu’elle unissait tous les hommes affinés par l’étude du passé grec et latin dans la jouissance commune des hautes pensées exprimées par de belles langues ; combien plus notre époque aurait-elle droit à une appellation analogue puisqu’elle associe en un groupe solidaire non seulement une confraternité d’érudits mais des nations entières, issues des races les plus diverses et peuplant les extrémités du monde !

Et pourtant, de nos jours, « l’humanitairerie » est au rabais ; tous nos grands écrivains, tous les hommes d’Etat font de l’esprit aux dépens de cette pauvre sentimentalité. C’est que la seconde moitié du dix-neuvième siècle a été fertile en enseignements relatifs aux formes que prend parfois le progrès. Les révolutionnaires de 1848 lancèrent avec un éclat particulier le mot d’humanité, mais ces braves gens, dans leur ignorance profonde, n’avaient aucune idée des difficultés que devait rencontrer leur propagande, aussi fut-il facile, après la défaite, de les tourner en ridicule. Puis vint la guerre franco allemande qui mit le comble à la gloire de la politique bismarckienne, venant à floraison dans la sentimentale Allemagne. C’est à qui copierait, du reste, avec une égale incapacité, les agissements du Chancelier de Fer dont l’ombre règne encore sur nous. A la délivrance de la Grèce et des Deux Siciles, aux acclamations qui saluèrent un Byron, un Kossuth, un Garibaldi, un Herzen, a succédé la conduite la plus prudente devant les massacres d’Arménie, les tueries de l’Afrique australe et les pogroms de Russie. Dans tous les pays d’Occident sévit un ardent nationalisme, et, d’une manière générale, les frontières se sont surhaussées depuis cinquante ans. Nous avons également vu, en Grande Bretagne, l’idée républicaine qui réunissait beaucoup d’adhérents avant 1870, s’effacer peu à peu de la politique courante, et il en est de même en tous pays civilisés pour les « utopies » les plus généreuses. On pourrait donc se laisser décourager en assimilant ces évolutions indéniables à des régrès définitifs si l’on perdait de vue la recherche des causes ; quand on a compris le fonctionnement de ces retours en arrière, on ne peut conserver le moindre doute que retentisse à nouveau le cri d’humanité lorsque les « humiliés et offensés » qui n’ont cessé de le prononcer entre eux se seront assimilé la parfaite connaissance scientifique ; ayant acquis une plus complète maîtrise dans leur entente internationale, ils se sentiront assez forts pour interdire à jamais toute menace de guerre.