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l’homme et la terre. — progrès

successivement leur floraison définitive, de même que dans les mondes, d’origine plus ancienne, de la flore et de la faune, nombre de genres et d’espèces ont accompli leur idéal de force, de rythme ou de beauté, sans qu’on puisse même imaginer rien de supérieur : la rose, devancière de tant de formes postérieures, n’en reste pas moins parfaite, insurpassable. Et, parmi les animaux, peut-on imaginer des organismes plus achevés, chacun dans son genre, que des crinoïdes, des scarabées, des hirondelles, des antilopes, que des abeilles et des fourmis[1] ? L’homme, encore imparfait à ses propres yeux, n’a-t-il pas autour de lui d’innombrables êtres vivants qu’il peut admirer sans réserve s’il a les yeux et l’intellect ouverts ? Et même s’il fait un choix dans l’infinité des types qui l’entourent, n’est-ce pas en réalité par l’impuissance dans laquelle il se trouve de tout embrasser ? Car chaque forme, résumant en elle toutes les lois de l’univers qui concourent à la déterminer, en est une conséquence également merveilleuse.

C’est donc seulement par la plus grande complexité des éléments qui entrent dans sa formation que la société moderne peut revendiquer une supériorité particulière sur les sociétés qui l’ont précédée ; elle a plus d’ampleur, s’est constituée en un organisme plus hétérogène par l’assimilation successive des organismes juxtaposés. Mais d’autre part, cette vaste société, tend à se simplifier ; elle cherche à réaliser l’unité humaine en devenant graduellement la dépositaire de toutes les acquisitions du travail et de la pensée dans tous les pays et dans tous les âges. Tandis que les diverses peuplades vivant à part représentent la diversité, la nation qui vise à la prééminence, et même à l’absorption des autres groupes ethniques, tend à constituer la grande unité ; de fait, elle cherche à résoudre à son profit toutes les antinomies, à faire la vérité une de toutes les petites vérités éparses ; mais combien le chemin qui mène à ce but est difficile, semé d’obstacles, et surtout sillonné de sentiers perfides qui semblent d’abord parallèles à la voie majeure et où l’on s’engage sans crainte ! L’histoire nous a montré comment chaque nation, si bien douée, si joyeuse de force et de santé qu’elle fût dans son bel âge, finissait par s’attarder, après un certain laps de décades ou de siècles, puis se décomposait en bandes qui par les brousses riveraines allaient se perdre de droite et de gauche ; parfois même elle essayait de

  1. H. Drummond, Ascent of man.