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l’homme et la terre. — progrès

d’une étincelle jaillissant d’un caillou et s’éteignant aussitôt dans l’air froid !

C’est donc en un sens beaucoup plus restreint qu’il faut comprendre l’idée de « progrès ». La valeur usuelle de ce mot, tel qu’on l’emploie généralement, est celle que nous a donnée l’historien Gibbon en admettant que, depuis le commencement du monde, chaque siècle a augmenté et augmente encore la richesse réelle, le bonheur, la science, et peut-être la vertu de l’espèce humaine ». Cette définition, qui renferme un certain doute au point de vue de l’évolution morale, a été reprise et diversement modifiée, étendue ou rétrécie par les écrivains modernes, et il en reste ce fait constant que le terme de progrès comporterait bien, dans l’opinion commune, l’amélioration générale de l’humanité pendant la période historique. Mais il faudrait se garder d’attribuer à d’autres cycles de la vie terrestre une évolution nécessairement analogue à celle que l’humanité contemporaine a parcourue. Les hypothèses très plausibles qui se rapportent aux temps géologiques de notre planète donnent une grande probabilité à la théorie d’un balancement des âges, correspondant en de vastes proportions au phénomène alternant de nos étés et de nos hivers. Un va-et-vient comprenant des milliers ou des millions d’années ou de siècles amènerait une succession de périodes distinctes et contrastantes, déterminant des évolutions vitales fort différentes les unes des autres. Que deviendrait l’humanité actuelle dans un âge de « grand hiver », alors que, peut-être, une nouvelle période glaciaire aurait recouvert les îles Britanniques et la Scandinavie d’un manteau continu de glace, que nos musées et nos bibliothèques auraient été détruits par les frimas ? Faut-il espérer que les deux pôles ne se refroidiront pas simultanément et que l’homme pourra survivre en s’adaptant peu à peu aux conditions nouvelles et en déplaçant vers les pays chauds les trésors de notre civilisation actuelle ? Mais si le refroidissement est général, est-il admissible qu’une diminution sensible de la chaleur solaire, source de toute vie, et l’épuisement graduel de nos réservoirs d’énergie puissent coïncider avec un développement incessant de la culture dans le sens du mieux et avec un véritable progrès. Déjà, dans la période contemporaine, nous pouvons constater que les conséquences normales de la dessiccation tellurique succédant à l’époque glaciaire ont causé des phénomènes incontestables de régression dans les contrées de l’Asie centrale. Les fleuves