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l’homme et la terre. — éducation

avoir été faite, faucheurs, moissonneurs et vendangeurs, n’en sont pas moins artistes dans leur façon de manier les outils et d’abattre la besogne : après des années, on raconte leurs prouesses de rapidité et d’endurance dans l’immense effort. Le « premier » garçon de ferme ne partage pas les bénéfices des belles récoltes, mais il met son point d’honneur à mieux mériter chaque année son titre et à savoir son habileté reconnue aux alentours. Chaque profession a ses héros, même dans toute ville ou village qui constituent à eux seuls un monde complet, et chacun de ces héros trouve des poètes qui perpétuent sa renommée, surtout pendant les longues soirées d’hiver, quand les flammes dansantes et les éclats soudains de la braise font osciller les figures, les rapprochent et les éloignent tour à tour, donnant à toutes choses l’impression du mystère et de l’intimité. Ces humbles foyers de l’art primitif, c’est d’eux que sont sorties nos épopées et nos architectures ! Et tant qu’il restera de ces lieux pacifiques pour le travail heureux, nous avons bon espoir.

D’autant plus avons-nous le droit d’espérer que de toutes parts la convergence se fait vers un état social où l’on comprendra l’union de tous les éléments de la vie humaine, jeux et études, arts et sciences, jouissances du bien-être matériel et de la pensée, progrès intellectuels et moraux. Quel prodigieux ensemble voyait déjà surgir devant soi le grand rénovateur Fourier lorsqu’il imaginait son « Phalanstère », et que de belles tentatives ont déjà été faites en cet ordre d’idées ! Dans un avenir prochain, la « Maison du Peuple » sera tout autrement belle que ne le fut un palais du roi à Persepolis, Fontainebleau, Versailles ou Sans-Souci, car elle devra satisfaire à tous les intérêts, à toutes les joies à toutes les pensées de ceux qui jadis étaient la foule, la cohue, la multitude, et que la conscience de leur liberté a transformés en assemblée de compagnons.

D’abord le palais sera de très vastes proportions, puisqu’un peuple se promènera dans ses cours, se pressera dans ses galeries et dans les allées de ses jardins ; d’immenses dépôts y recevront les provisions de toute espèce nécessaires aux milliers de citoyens qui s’y trouveront réunis les jours de travail et de fête ; le « pain de l’âme » sous forme de livres, de tableaux, de collections diverses ne sera pas moins abondant que le pain du corps dans les salles de la maison commune, et toutes prévisions pour bals, concerts, représentations théâtrales devront être ample-