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l’homme et la terre. — éducation

La tyrannie matérielle des maîtres et des castes n’est pas la seule qui
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par les frères Van Eyck,
Hubert, 1370-1426.
(Musée Royal de Bruxelles)
empêche complètement, ou du moins, retarde le développement de l’art ; la lourde oppression d’une opinion publique inintelligente produit le même résultat. Le mal accompli par l’hypocrisie religieuse et morale qui sévit dans les pays anglo-saxons sous le nom de cant est vraiment incalculable. Des milliers d’auteurs et d’artistes qui n’avaient point à craindre le « bras séculier » se taisaient néanmoins avec une discrétion respectueuse lorsqu’ils étaient amenés par leur sujet à toucher des problèmes qui n’ont pas été déclarés libres par la toute-puissante opinion. On sait combien des hommes d’une haute puissance intellectuelle, tels que Byron et Shelley, cherchèrent en vain à se faire tolérer par leur patrie, l’Angleterre, et durent l’un et l’autre aller mourir à l’étranger. Egalement en pays anglais, la littérature, la peinture dites « convenables » furent, jusqu’à une époque récente, forcées d’ignorer complètement la vie sexuelle, en dehors des élans de l’âme et du côté purement spirituel de l’amour : il semblait que l’homme fût vraiment un être dépourvu de corps, une simple flamme, une lumière, un farfadet. A cet égard, la société moderne, toujours soumise à cette honte, à cette malédiction de la chair qu’avait prononcée le christianisme, est encore singulièrement inférieure à la noble Hellade, qui respectait et divinisait les formes humaines.

La renaissance d’un art sculptural, non identique, mais de valeur égale à celui des Grecs, n’est pas concevable aussi longtemps que la mode et les conventions d’une fausse morale imposeront aux hommes et aux femmes leurs coutumes, à la fois contraires à la libre croissance du corps, à