Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome VI, Librairie universelle, 1905.djvu/502

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
478
l’homme et la terre. — éducation

verra donc point de pouvoirs constitués qui aient l’audace de condamner ouvertement le mal. On se contente de traiter théoriquement des questions relatives au travail ou à l’éducation, d’admettre sans conteste ce que disent les hygiénistes de la nécessité de respirer l’air pur, d’alterner les travaux de force physique et de recherche intellectuelle, de fournir à chaque homme une nourriture variée et abondante, de ne forcer ni les vocations ni les muscles, d’octroyer un large repos bien gagné à ceux qu’a fatigués l’excès du labeur ; mais qu’importe une science dont on n’ose appliquer les principes parce que des usines ont intérêt à se procurer des muscles humains à des prix de famine et que des parents ont hâte de dresser leurs fils à une profession qu’ils jugent, sinon bien rémunérée, du moins nécessaire aux besoins immédiats de la famille ! Et la prostitution ? En tant que régime dépendant de l’Etat, lui profitant même par les redevances, pareille institution ne peut trouver que des défenseurs honteux, si ce n’est parmi les chefs de l’armée, qui veillent avec soin à ce que des maisons publiques s’élèvent à côté des casernes. Et comment parer aux tueries en masse perpétrées de temps en temps par les compagnies de chemins de fer ? Sans doute, il est des cas fortuits qui échappent à toute prévoyance humaine, mais en plus d’un accident c’est le « dividende » qu’il faut accuser. Les compagnies connaissent les appareils de préservation ; mais ceux-ci coûtent cher ; elles n’ignorent pas qu’un ample personnel, toujours dispos, l’esprit ouvert, est indispensable pour éviter les rencontres ; mais les hommes se paient. Elles savent aussi que les responsabilités, portées par les puissants, prendraient un caractère autrement sérieux que les lourdes peines dispensées au hasard sur un aiguilleur éreinté de fatigue ou sur un chauffeur aveuglé. Après tout, ces inconvénients n’entament guère les gros bénéfices en vue desquels s’est combinée toute l’entreprise.

Ainsi toujours et partout, en toute œuvre de justice et de solidarité humaine, on se heurte à des survivances qui ne céderont certainement point aux exhortations de ceux qui savent et se bornent à prêcher avec ferveur ; elles ne céderont qu’à la force. Ceux qui ajoutent la puissance au savoir interviendront sans doute avant que tous ces maux publics disparaissent d’eux-mêmes. Il ne suffira point d’édicter des lois ni de déléguer le pouvoir populaire pour détruire toutes les institutions mauvaises ; le mouvement historique amènera certainement sur la scène des révolutionnaires qui mettront la main au service de leurs