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conflit entre la science et le capital

croisements, tout en respectant d’une manière absolue le libre choix des conjoints, il faudra donc recommencer la lutte qui, sur tous les autres points, divise les hommes de pouvoir et d’égalité. Pour chaque amélioration partielle que la science a dictée, on se trouve brusquement arrêté dans ses efforts, les conditions d’inégalité sociale s’interposant entre l’idéal et sa réalisation possible. S’agit-il, par exemple, du plus essentiel de tous les progrès, celui qui assurerait la santé et la durée d’existence à tous les nouveau-nés ? A cet égard, l’histoire naturelle, la biologie, l’hygiène, la thérapeutique nous ont donné tous les renseignements désirables, et nous savons parfaitement comment il importe de procéder pour accommoder les nourrissons à leur milieu en toute contrée et en toute saison ; on sait même comment il faut s’y prendre pour accepter les défis de la nature en faisant vivre les enfants nés avant terme, objets informes dont l’anatomiste et la nourrice sont seuls à reconnaître la qualité humaine. L’hygiéniste apprend à augmenter de jour en jour, d’heure en heure, les chances de l’individu naissant dans son travail pour l’existence, il sait, en général, comment il doit agir devant chaque problème médical ou chirurgical, mais il n’ignore pas non plus les inégalités de la fortune, et c’est pour les rejetons des privilégiés seulement qu’il entreprend la lutte. Car, ce serait être révolutionnaire que de ne pas tenir compte des droits sacro-saints du capital, même dans ce problème par excellence de la conservation de l’espèce humaine. Le médecin n’a pas le droit de détourner la mère du genre d’occupation que lui impose l’économie contemporaine, et qu’en peut-il si la mère est obligée, par son travail même, de se défaire de ses enfants, de les envoyer au loin chez les mercenaires, où les soins donnés aux petits, sous la surveillance de fonctionnaires trop souvent indifférents, risquent d’être tout à fait illusoires ?

Il en est de même de toutes les autres améliorations rêvées ou tentées par les hommes de bonne volonté qui s’intéressent plus spécialement à telle ou telle des questions relatives au progrès social. Ainsi les hygiénistes n’ont plus aucun doute relativement aux poisons qui vicient le sang des hommes, alcool, tabac, morphine, opium. Certes, la clarté s’est amplement faite à cet égard, mais il est également clair que les budgets nationaux et locaux, de même que les bénéfices des producteurs et commerçants s’accroissent largement à favoriser le vice. On ne