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l’homme et la terre. — l’angleterre et son cortège.

une appropriation analogue à celle des paysans anglais sur les terres inaliénables des manoirs. En outre, le régime féodal devait être consolidé par l’asservissement des indigènes, que les colons propriétaires pouvaient se faire « assigner », c’est-à-dire attribuer comme esclaves temporaires au moyen d’une simple pétition rédigée et signée par eux-mêmes, sans enquête ni contrôle judiciaire[1].

La découverte des mines d’or, puis le flux rapide de l’immigration européenne et de brusques révolutions économiques dérangèrent ces beaux plans, sans toutefois les renverser, et, du moins, l’aristocratie terrienne obtint ce résultat, qu’il n’existe point de classe paysanne en Australie. Il n’y a guère de jardiniers non plus, si ce n’est autour des villes, où quelques Chinois produisent des légumes pour la consommation locale, et dans l’état de Victoria, où la banlieue de Melbourne est devenue un grand jardin maraîcher.

Ce régime de la propriété dans les terres de l’Australie est une des raisons pour lesquelles la population est devenue presque exclusivement urbaine : telle ville, comme Melbourne, renferme près de la moitié de tous les habitants de la colonie dont elle est la capitale. Mais si les grands propriétaires d’Australie ont réussi à garder la pleine domination du territoire et à l’interdire aux travailleurs comme domicile permanent, ceux-ci, tondeurs de brebis et autres, doivent à leur genre de vie des mœurs presque communistes qui, dans une lutte sociale, pourraient leur donner contre les bailleurs de travail une force irrésistible. Obligés dans la saison de la tonte de quitter les villes en multitudes et de voyager rapidement vers les pâturages lointains, ils ont dû s’associer pour assurer en route la fourniture des vivres. Au lieu même de leur besogne régulière, ils logent en de longues et hautes cabanes où trois rangées de lits s’étagent comme au pourtour d’un entrepont de navire, et leurs repas se font toujours en commun. Ils ne se mettent jamais à table sans regarder au dehors s’il y a des voyageurs en vue et à portée de la voix pour prendre part au repas. Même s’ils ne voient personne, ils clament à pleine gorge : « Any travellers about ? Come on, mates »[2].

Les habitants de la colonie de Victoria, au sud-est du continent australien, se sont considérés longtemps, et à bon droit, comme occu-

  1. J. B. Gribble, Pall-Mall Gazette, 5 août 1886.
  2. J. A. Andrews, Humanité Nouvelle, août 1898. — Y a-t-il quelqu’un aux environs ? A table, compagnons.