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l’homme et la terre. — éducation

faut qu’il le crie aux oiseaux de l’espace, aux astres, à la nature entière.

Il importe que la « science du bien et du mal » ainsi que celle du vrai et du faux, objet de la première malédiction religieuse, se répandent par toute la terre et soient départies à tous les hommes dans la mesure de leur bon vouloir et de leur puissance d’adaptation. Sans doute, la réalisation actuelle reste de beaucoup au-dessous de l’idéal proposé : de même que l’enseignement intégral, offert à beaucoup, ne suscite cependant qu’un petit nombre relatif de passionnés se dévouant avec succès à l’étude, de même la diffusion universelle du savoir ne pénétrera que par degrés dans les profondeurs ataviques des populations barbares qui s’accommodent péniblement à un milieu nouveau, non sans y laisser des victimes en foule. Néanmoins le nouvel outillage est là, fonctionnant de jour en jour plus actif et plus efficace : cours d’adultes, techniques et professionnels, conférences du jour et du soir, exercices et démonstrations, soirées théâtrales, enfin universités populaires, nées çà et là en Angleterre, en Amérique, en France, essayant même de pointer comme la fine tige de gazon dans la sombre Russie. Quelques doctrinaires de la science antique, des traditionalistes effarés de toute jeune audace peuvent affecter de ne voir dans ces écoles naissantes que des essais informes, condamnés à périr ou du moins à végéter misérablement parce que les études rudimentaires, c’est-à-dire le point d’appui indispensable de toute connaissance ultérieure, manquent aux élèves de ces institutions ; mais il en est parmi eux qui travaillent avec une volonté têtue de savoir réellement, de construire leur édifice à partir des fondations et qui réussissent triomphalement dans leur œuvre acharnée. Déjà les preuves se présentent en foule. Combien d’autodidactes peuvent se placer fièrement à côté des bons élèves dressés à l’étude scientifique pendant leur jeunesse et comparer leurs œuvres aux leurs. On peut même se demander si les universités populaires n’oseront pas tenter des voies inexplorées où les universités de l’aristocratie du savoir hésiteraient à se risquer. La Sorbonne ne se sentirait-elle pas humiliée si tel de ses professeurs s’abaissait à donner des cours d’esperanto ?

Toutefois, si importantes que soient ou que puissent devenir les universités populaires, leur influence est presqu’insignifiante en comparaison de celle que possède la presse, c’est-à-dire la voix même de l’humanité. La découverte prodigieuse de l’imprimerie eut pendant