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l’homme et la terre. — l’angleterre et son cortège.

une sorte de trahison envers un passé glorieux : celui qui avait placé la nation anglaise hors pair parmi toutes celles de la Terre comme le champion par excellence d’un mouvement d’échanges sinon « libre » du moins libéré de beaucoup d’entraves, et conférant une sorte d’apostolat aux continuateurs de l’œuvre de Cobden ? Certainement les colonies anglaises seraient de précieuses associées dans le commerce panbritannique, mais, si importantes qu’elles soient, elles ne peuvent avoir la prétention d’égaler tout le reste du monde.

Et d’ailleurs, la tendance naturelle de chacune des colonies est de développer son autonomie conformément aux conditions spéciales que lui fait son ambiance particulière. La Terre n’est pas encore devenue assez petite par l’effet de la pénétration mutuelle des idées et des intérêts pour que le Canada, le Cap, l’Australie, qui se lancent impétueusement en avant dans la vie, se sentent vraiment une avec leur antique mère d’Europe : après les démonstrations d’amitié et de tendresse, ils se prêtent de nouveau à la tendance naturelle qui les porte à suivre leur propre voie, à se détacher de leur génitrice. L’unité nationale entre métropole et colonies gardera longtemps encore son caractère religieux et traditionnel, mais rien ne les empêchera de s’affirmer en manifestations divergentes. Déjà tout a changé et, quand on a traversé l’Atlantique ou le Pacifique, on reconnaît sans peine que les « nouvelles Angleterres » ne ressemblent que lointainement à l’ancienne.

Ainsi prenons l’Australie pour exemple, l’Australie dont la première destination fut d’être un simple exutoire aux prisons du Royaume-Uni. Lorsqu’il devint évident que ce lieu de déportation deviendrait aussi une colonie dépeuplement, l’aristocratie anglaise, qui faisait alors la loi dans le Parlement britannique, avait imaginé toute une savante diplomatie pour que la New South Wales (Nouvelle Galles du Sud), la seule colonie australienne constituée en État à cette époque, restât, comme la mère patrie, divisée en grands domaines dont les travailleurs agricoles ne pourraient jamais devenir les possesseurs. On commença par faire voter une loi qui interdisait la vente de la terre au-dessous d’un prix très élevé, inaccessible aux immigrants pauvres, et d’autre part, on fixa un maximum de salaire. Toutefois, si l’achat du sol était interdit au prolétaire, il devait être facilité aux concessionnaires riches et, pour ceux-ci, l’achat fut remplacé par des licences qui leur accordaient le droit de pâture sur des espaces énormes, de milliers et dix