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l’homme et la terre. — éducation

éléments pour l’œuvre de développement intellectuel et moral qu’il entreprend, celui-ci doit connaître à fond chacun de ses disciples, et, tout en pratiquant la plus équitable impartialité, procéder suivant des façons diverses avec chaque individu. Sa classe ne contiendra donc que peu d’élèves, ceux ne pouvant être en nombre que dans les chœurs, les exercices de gymnastique, les promenades et les jeux.

Quelques camarades sont néanmoins indispensables dans les études sérieuses, car l’initiative individuelle a besoin d’être sollicitée par l’esprit d’imitation. Ce que l’on appelle émulation est, par ses bons côtés, le besoin naturel d’imiter son compagnon, de savoir ce qu’il sait, de l’égaler en toutes choses. La plupart des élèves n’apprendraient qu’avec de grands efforts s’ils devaient étudier seuls, sans amis qui les encouragent spontanément par la voix, les gestes, la mimique : la manifestation de la vie chez autrui suscite la vie en eux-mêmes. Ils apprennent grâce à l’exemple bien plus que les faits dont ils enrichissent leur mémoire ; ils se règlent à une certaine méthode qui les accoutume à l’ordre dans le travail. Ils s’ingénient à discipliner leurs efforts, à se préparer pour la pratique de l’entr’aide qui sera la part la plus utile de leur existence. Une bonne éducation comporte donc un groupe d’enfants assez considérable pour qu’ils puissent se livrer à des œuvres communes, entreprises joyeusement et vivement achevées.

De combien d’unités se composera ce groupe ? Des théoriciens de l’enseignement ont voulu le limiter à huit, nombre leur paraissant impliquer une harmonie naturelle, un rythme de répartition facile qui se reproduirait dans l’ensemble du travail (Barthélémy Menn) ; mais la vie, toujours changeante dans ses phénomènes, ne s’accommode point de ces arrangements dictés à l’avance : il y a certainement avantage à modifier les conditions de l’école suivant les individus et les milieux. L’important est que les jeunes condisciples ne forment pas une cohue où l’individu échapperait à la sollicitude spéciale du maître, mais constituent, pour les joies du travail et de l’amusement, une véritable famille. L’éducateur en serait à la fois le père et le frère, mettant son propre cerveau en communication avec les cerveaux des enfants, saisissant nettement l’état de leurs notions conscientes et inconscientes, sollicitant dans les jeunes têtes un travail de la pensée correspondant au sien propre et les amenant ainsi à la compréhension de la vérité et au bonheur de l’action.