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épanouissement de l’enfant

mal, et si l’on ne résiste pas, on livre d’avance les humbles et les pauvres aux oppresseurs et aux riches.

Quelques éducateurs commencent à comprendre déjà que leur objectif doit être d’aider l’enfant à se développer conformément à la logique de sa nature : il ne peut y avoir d’autre but que de faire éclore dans la jeune intelligence ce qu’elle possède déjà sous forme inconsciente et d’en seconder religieusement le travail intérieur, sans hâte, sans conclusions prématurées. Il faut bien se garder d’ouvrir la fleur pour la faire s’épanouir de force, de gaver la plante ou l’animal en lui donnant avant le temps une nourriture trop substantielle. L’enfant doit être soutenu dans son étude par la passion ; or, ni la grammaire, ni la littérature, ni l’histoire universelle, ni l’art ne sauraient encore l’intéresser ; il ne peut comprendre ces choses que sous forme concrète : l’heureux choix des formes et des mots, les récits et descriptions, les contes, les images. Peu à peu ce qu’il aura vu et entendu suscitera en lui le désir d’une compréhension d’ensemble, d’un classement logique, et alors il sera temps de lui faire étudier sa langue, de lui montrer l’enchaînement des faits, des œuvres littéraires et artistiques ; alors il pourra saisir les sciences autrement que par la mémoire, et sa nature même sollicitera l’enseignement comparé. Comme les peuples enfants, les jeunes ont à parcourir la carrière normale représentée par la gymnastique, les métiers, l’observation, les premières expériences. Les généralisations ne viennent que plus tard. Sinon, il est à craindre qu’on déflore l’imagination des enfants, qu’on use avant le temps leurs facultés mentales, et qu’on les rende sceptiques et blasés, ce qui, de tous les malheurs serait le plus grand.

L’amour et le respect du maître pour l’enfant devraient lui interdire d’employer dans son travail de tutelle et d’enseignement le procédé sommaire des anciens despotes, la menace et la terreur : il n’a d’autre force à sa disposition que la supériorité naturelle assurée à l’éducateur par l’ascendant de sa taille et de sa force, son âge, son intelligence et ses acquisitions scientifiques, sa dignité morale et sa connaissance de la vie. C’est beaucoup, pourvu que l’enfant garde la pleine maîtrise de ses facultés, et ne se diminue pas par l’excès du travail.

Etant donné que l’éducation est une collaboration entre l’élève qui se présente avec son caractère propre, ses habitudes et mœurs particulières, sa vocation spéciale, et le professeur qui veut utiliser ces