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l’homme et la terre. — l’angleterre et son cortège.

en suppliant vers ses colonies et à leur demander un appui moral, même des contingents de troupes et de matériel guerrier. Emues par cet appel, qui établissait aux yeux du monde leur importance politique grandissante, et d’ailleurs séduites en une forte mesure par la fascination toujours très puissante du patriotisme panbritannique, les colonies autonomes s’empressèrent de répondre favorablement aux avances de la mère patrie ; toutefois il s’en fallut de beaucoup qu’elles égalassent en proportion les sacrifices de l’Angleterre elle-même et de la colonie du Cap, voisine immédiate du théâtre de la guerre ; d’ailleurs ces sacrifices ne furent point gratuits, la métropole eut à les acheter chèrement, d’abord par une haute paye — la solde du volontaire colonial étant cinq fois plus élevée que celle du Tommy anglais —, puis par des privilèges commerciaux et même par une participation directe à la gérance des intérêts communs.

Quoique, au commencement du vingtième siècle, la population totale des six[1] « colonies » s’administrant elles-mêmes représente seulement la cinquième partie des Anglais du monde entier, quoique certains de ces États émancipés ne groupent qu’une infime population, — 200 000 habitants à Terre-Neuve, 60 000 blancs en Natal (1901) —, cette fraction relativement minime de la « majeure Bretagne » a reçu sa part d’attribution au conseil de la grande association : Ottawa, Melbourne, Wellington, Capetown, Saint-John, Pietermaritzburg partagent désormais, et bien plus qu’ils n’est officiellement constaté, le droit d’initiative avec le cabinet de Saint-James et le parlement de Westminster. A la politique anglaise succède l’action panbritannique, plus lente, plus complexe, non plus spécialement européenne, mais dirigée par des intérêts mondiaux.

Il est naturel que toute évolution historique dépasse son but : les personnages que les événements ont mis en lumière comme protagonistes du changement sont entraînés par la passion de l’idée qui les anima et ils en exagèrent la valeur, cherchant à en faire une panacée pour tous les maux présents et futurs. Il a paru bon et même indispensable, pendant la période d’angoisse, de faire appel à la collaboration des colonies, et celles-ci gagnant journellement en population, en ressources financières et militaires, on se promet pour l’avenir une aide

  1. Huit, depuis que l’indépendance a été officiellement reconnue au Transvaal et à l’Orange (1907).