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l’homme et la terre. — éducation

ce qu’il a parfaitement compris lui-même et qu’il a besoin de communiquer en toute joie de savoir, en tout amour fraternel. En pratique, c’est bien ce qui se présente exceptionnellement, et les connaissances peuvent se propager ainsi comme un magnifique incendie, mais d’ordinaire ce que l’on appelle enseignement prend de tout autres allures. Les instructeurs, simples gens de métier, ne sont pas nécessairement animés de ce feu sacré qui est l’enthousiasme du vrai, et ce qu’ils enseignent n’est le plus souvent qu’une leçon dictée conformément à des intérêts de nationalité, de religion, de caste. Toutes les survivances ont leur part dans l’œuvre si complexe et si diverse de l’enseignement.

D’abord, le vice capital des écoles est celui de toutes les institutions humaines, le caractère d’infaillibilité que s’attribuent volontiers les professeurs. Aux yeux du vulgaire, ils semblent presqu’en avoir le droit naturel, grâce à l’autorité que leur donnent les années et les études antérieures. Les enfants, regardant vers la figure grave de leur père ou de celui qui le remplace, sont tout disposés à inscrire dans leur mémoire la parole solennelle qui va tomber de sa bouche : ils fournissent un terrain des plus favorables à la foi naïve et spontanée qui plaît tant aux instituteurs. Ainsi se forme, sans peine, une sorte de religion dont les pontifes se croient volontiers maîtres de la vérité. A leur infaillibilité personnelle s’en ajoutent d’autres qui, suivant les différents pays, suivant les cultes et les classes, donnent à la première une consécration plus haute. Les enseignements changent donc au delà de chaque frontière, au point d’être absolument opposés les uns aux autres. Patries, religions, castes ont leurs prétendues vérités qui sont le point de départ de toute l’éducation, la clef de voûte de tout le système. Mais l’évolution générale qui rapproche les hommes, effaçant de plus en plus les conflits de races, d’idées et de passions, tend à égaliser aussi les méthodes d’enseignement, en atténuant par degrés leur caractère despotique et en laissant à l’enfant une plus grande initiative.

L’art de l’éducation, comme tous les autres arts, est d’invention préhumaine. En toutes les conquêtes de l’esprit, l’homme a été précédé par les animaux, et toujours il a fait fausse route lorsqu’il s’est écarté de l’exemple qu’il avait reçu. L’éducation, telle qu’elle est comprise par nos « frères inférieurs », a gardé son caractère normal, efficace, tandis que chez les humains elle a souvent dégénéré en pure routine et parfois