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l’homme et la terre. — la religion et la science

nomique leur permet de toucher aux « droits » sacro-saints de la propriété. Suivant la remarque d’un hygiéniste, la proclamation des droits de l’homme, à la fin du dix-huitième siècle, impliquait le droit à la santé[1].

Ainsi le soin de la santé publique n’est plus du ressort de l’Eglise. Le soin de la santé morale lui échappe également de plus en plus[2], et de toutes parts la société se révolte contre elle pour lui retirer l’enseignement, De même que le pape, après avoir brigué la domination absolue dans le monde entier, a fini par avoir pour limites de son empire les murs de son palais, de même l’Eglise se voit arracher successivement toutes les maîtrises qu’elle revendiquait dans la direction des intelligences et des volontés. Bouddha, Jésus, ni Mahomet ne peuvent la renseigner à cet égard : l’humanité n’a pas besoin de Souverain Pontife. Bien plus, il n’est pas une religion qui puisse satisfaire d’une manière complète le mystique entraîné par les illusions du rêve : si désireuse qu’elle soit de faire bon accueil au prosélyte, chacune d’elles est cependant encore trop précise dans ses dogmes, sa tradition, son histoire, pour ne pas gêner ceux dont la fantaisie vagabonde dans l’infini de l’espace et du temps. L’Eglise et les Eglises ne sont que des moments dans la série de l’histoire humaine, et le sentiment poétique les déborde de toutes parts. Combien plus vaste est le chant du mystère ! L’homme n’est-il pas comme un point imperceptible dans l’immense nature ? Les « larmes des choses, suivant l’expression du poète romain, ont ému de tout temps, même avant la venue des Dieux. Dans la société future, comme dans la société présente, les amours déçues, la mort prématurée des jeunes et des bons, la lutte pour l’existence, ne sont-ce pas là des problèmes sur lesquels on rêvera longtemps avec douleur ou mélancolie et qui pénètrent l’individu de profondes émotions que nulle secousse religieuse ne pourrait dépasser ?

Mais, quoique la science nous révèle un monde sans bornes de phénomènes admirables, sollicitant des transports d’émerveillement et d’enthousiasme, elle n’en procède pas moins à son œuvre avec calme et sérénité, ne cherchant que le vrai, dût ce vrai apporter le désastre avec lui. A elle d’ouvrir la boîte de Pandore, quand même l’espérance devrait également en fuir à jamais ! A cet égard, la science a ses martyrs comme la religion, mais des martyrs bien

  1. Bruno Galli-Valerio, Bull. de la Soc. Vaud. des Sciences naturelles, mars 1899.
  2. Gustave Loisel, Revue Scientifique. 11-X. 1902.