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colonies du cap, australie

millions d’hommes, c’est-à-dire qu’elles sont loin d’atteindre la centième partie du genre humain, mais elles profitent du prestige que doit donner la valeur de leur commerce, l’autorité de leur industrie, leur omniprésence par les voyages et la solidarité politique avec l’Angleterre, qui, au besoin, les eût protégées naguère par l’envoi de ses vaisseaux. Une sorte d’organisme nerveux a d’ailleurs accru la valeur de ces colonies parmi les nations du monde, car, pendant la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, la Grande Bretagne a graduellement, silencieusement, ajouté à sa flotte un autre instrument de domination mondiale en rattachant à son île la plupart de ses dépendances de l’Afrique, de l’Asie, de l’Australie, de l’Amérique, par un réseau de fils sous-marins qui, récemment encore, lui donnait la primeur des nouvelles télégraphiques et lui subordonnait tous les peuples auxquels la connaissance des faits lointains arrivait auparavant dénaturée et mensongère.

On ne saurait s’exagérer l’importance du continent Australien au point de vue de son rôle, et la puissance matérielle qu’il donne à l’Angleterre par l’influence morale qu’il ajoute dans le monde à la forme dite « anglo-saxonne » de la civilisation. L’Australie est l’une des branches du grand trépied « britannique » posé sur le monde. Il est vrai que par sa faible population, d’environ 4 millions d’hommes en 1905, elle ne peut entrer en comparaison avec la Grande Bretagne et l’Amérique du nord ; mais il faut tenir compte ici, moins du nombre des individus que de la grandeur et de la situation géographique du territoire, de sa position dominante dans tout le monde océanien, au centre de l’immense hémicycle des rivages continentaux. L’Australie est, pour la langue et pour le mode de culture anglo-saxonne, un centre de rayonnement, aussi bien que l’Angleterre et que les Etats-Unis. Grâce à l’Australie et à la Nouvelle-Zélande, des voyageurs anglais, partis de Liverpool ou de Southampton, peuvent entreprendre la circumnavigation de la Terre en ne s’arrêtant qu’en des ports britanniques : Capetown ou Aden, Melbourne ou Colombo, Durban ou Sydney, Port-Stanley (Falkland ou Malouines) ou Sainte-Hélène, et s’imaginent volontiers que l’anglais est la langue du genre humain. C’est une illusion, et par conséquent un danger, mais leur audace en est grandie.

Récemment, les embarras cruels et persistants du gouvernement anglais dans son entreprise sud-africaine, l’avaient forcé à se tourner