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l’homme et la terre. — la religion et la science

merce cléricale étend ses « opérations », et son patronage s’alourdit sur les peuples.

C’est principalement comme exploiteur de travail que le clergé accroît son action sur le monde extérieur, mais à ce point de vue, malgré les milliards dont il dispose, la grande initiative lui manque : il ne sait pas grouper les travailleurs en puissantes masses comparables à celles que fait agir le capital laïque. L’utilisation effrénée du travail des orphelins, des prisonniers, des malades, des vieillards, la fabrication des boissons et des aliments, de la toilette, des petits objets de mercerie, voilà ce qui lui convient. Pour d’autres travaux, il ne peut y avoir que diminution graduelle, puisque le mobile initial, la foi, disparaît chez les uns et se mêle chez les autres à une part de plus en plus grande d’éléments étrangers. Il importe de ne point se laisser tromper à cet égard par le déploiement des foules qui se pressent à une bénédiction papale ou par la procession des pèlerins se rendant aux fontaines bénites. La part de la curiosité, de la banalité y dépasse celle de la dévotion. Evidemment, les pèlerinages avaient au moyen âge une importance relative beaucoup plus considérable que de nos jours, car ils mettaient en branle une masse populaire autrement importante en proportion, malgré la difficulté des voyages lointains à travers les pays inconnus et souvent ravagés par les guerres. Mais, si un trajet de quelques heures vers Lourdes, Einsiedeln ou Trêves n’est, pour ainsi dire, qu’un jeu en comparaison de ce qu’était jadis le pèlerinage de Compostelle ou la visite du Saint Sépulcre, l’industrie moderne, manipulée par l’Eglise, a permis de déplacer d’un coup des masses humaines plus formidables. Après la guerre de 1870, alors que la nation française, assez veule, assez battue pour se laisser « vouer au Sacré Cœur », était dans une complète incertitude au sujet de l’avenir prochain et se demandait si elle n’allait pas tomber sous la domination absolue de l’Eglise, celle-ci organisait triomphalement des pèlerinages dits nationaux. En 1872, on vit à Lourdes un cortège de vingt-quatre évêques conduire des généraux, de hauts fonctionnaires, plus de trente préfets alors en exercice, cent dix députés, quarante sénateurs, soit plus de 250 messieurs chamarrés, suivis de trente mille pèlerins, dont onze cents malades venant se plonger dans la sainte piscine. C’est par millions que se comptent les lecteurs des Annales de Lourdes racontant les guérisons miraculeuses, et par millions de francs que les compa-