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l’église et l’argent

marchands ? L’argent n’a pas d’odeur, même ramassé dans la fange, pourvu qu’il serve à la gloire de l’Eglise. Sachant que l’homme ne vit pas de foi seulement, mais qu’il lui faut aussi le pain, le clergé, même celui qui reste pauvre et très pauvre par ses membres individuels, travaille à devenir riche, et c’est un curieux phénomène psychologique de voir tel moine mendiant, telle petite sœur des pauvres se contenter des plus mauvais rogatons, se vêtir des habits les plus humbles pour avoir le bonheur d’enrichir cette immense société de l’Eglise dans laquelle ils se trouvent immergés comme une goutte d’eau dans l’Océan. Aussi l’Eglise, nourrie de la pitance des innombrables pauvres et de la prélibation sur les revenus des riches, a-t-elle amassé plus de trésors que monarque n’en posséda jamais. Non seulement elle dispose des subsides de l’Etat dans la plupart des contrées du monde dit civilisé, elle fait bien plus que doubler ce budget officiel ; d’un côté, elle sollicite des offrandes, concède des indulgences, vend des titres nobiliaires, organise — au Mexique — des loteries à un dollar le billet, dont chaque numéro gagnant « transporte une âme sanglante et martyrisée du purgatoire au ciel » ; de l’autre côté, elle fait commerce en fabriquant des objets de toute espèce, des aliments, même des boissons spiritueuses, en construisant des navires, en établissant des plantations dans les colonies lointaines. Quand ces entreprises ne réussissent pas, on invite les gouvernements et les fidèles à combler le déficit ; quand elles donnent de beaux bénéfices, les produits servent à étendre le cercle des affaires. Un des faits caractérisant le mieux cette poursuite de l’argent est celui que découvrit, en 1898, le ministre de la Justice espagnol. Depuis 1851 aucune des religieuses appartenant à certains couvents n’avait été inscrite comme décédée, et c’était justement à elles qu’une loi de 1837 avait accordé une pension viagère d’une piécette par jour.

Les villes voient s’élever d’énormes cubes de pierre, aux fenêtres symétriques, dans lesquels s’entassent les gens de l’Eglise, leurs clients et parasites. La superficie des terrains appartenant au clergé s’accroît d’année en année ; presque dans chaque ville se montrent de vastes monuments décorés qui coûtèrent des millions, quoique le constructeur ne possédât rien lorsqu’on posa la première pierre. La grande richesse collective de l’Eglise est ce qui lui assure sa clientèle : tandis que la foi diminue, que la religion s’en va, la maison de com-