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l’homme et la terre. — la religion et la science

de logique indispensables aux recherches fructueuses ; mais, à ces fidèles aventurés sur le dangereux terrain des travaux intellectuels, les conclusions sont dictées d’avance : il faut qu’ils soient menés comme par la main vers le parvis du temple et que là ils se prosternent en adoration devant le puissant Créateur de toutes choses, heureux d’offrir comme un brin d’herbe la petite récolte de découvertes faites par eux dans le champ du savoir. S’il leur arrive au contraire de se heurter à quelque pierre d’achoppement et de trouver la moindre contradiction entre le résultat de leurs travaux et les traditions de l’Eglise, les décisions des conciles et le texte des bulles papales, alors ils courent grand risque d’être frappés d’anathème, à moins qu’ils ne fassent amende honorable, et n’acceptent d’aller faire pénitence dans quelque couvent lointain, oubliés de ceux auxquels leur enseignement fut en scandale. Comme aux siècles du moyen âge, la science n’a droit qu’au nom de « servante » devant l’Eglise souveraine, tandis que, pour les infidèles, elle est la Reine et la Mère.

L’empire intellectuel du monde étant désormais interdit aux Eglises que le dogme sépare encore les unes des autres, leurs ambitions rétrécies doivent se borner à de moindres horizons. Elles se dirigent surtout vers la puissance dont l’élément principal est la possession des richesses. Un vers de Sophocle[1] mentionne déjà l’avidité des prêtres, et ce qui était vrai dans le monde hellénique, où le rôle des interprètes de la divinité n’était que secondaire, a pris une valeur bien autrement grande dans les sociétés où l’Eglise s’arroge la direction absolue des âmes. Dès qu’une religion cesse d’être persécutée pour devenir institution, culte reconnu ou dominant, aussitôt elle cherche à profiter des biens de ce monde : elle frappe monnaie et convie les marchands dans le temple comme aux jours où le Christ s’arma d’un fouet de corde contres les trafiquants. Dans les églises, ne vend-on pas les bancs et autres sièges à l’enchère ? L’archevêque de Malines ne voile-t-il pas d’un rideau les glorieuses peintures de sa cathédrale, afin de partager avec le bedeau les pièces de monnaie blanche que paient les étrangers pour se faire montrer les chefs-d’œuvre ? Et telle église — citons celle de Saint-Julien à Brioude — n’a-t-elle pas la honte de montrer sur la porte latérale de sa façade même les annonces mensongères de quelques vils

  1. Τὸ μαντιϰὸ γαρ πᾶν φιλἀργυρον γἐνος, Antigone, vers 1055. — La race des devins est en effet tout entière avide d’argent.