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l’homme et la terre. — la religion et la science

due omniprésence ; les principes essentiels de la religion restent absolument ignorés, mais, quand on croit utile de pénétrer dans l’Eglise, on ne manque pas d’observer toutes les cérémonies traditionnelles, génuflexions, balancements du corps et de la tête, mouvements des yeux et des mains. Il est convenu que les intérêts de la propriété, du capital, du parasitisme, ceux de toute nature, exigent la pratique réglementaire du culte catholique, et des millions d’hommes se conforment à celle obligation dépourvue de toute sincérité. L’hypocrisie tend à remplacer la foi disparue, et, par suite, la religion s’enkyste de plus en plus dans l’organisme social, de manière à n’avoir plus de force rectrice pour entraîner l’humanité derrière elle ; son action, devenue régressive, se fait par cela même vénéneuse et corruptrice, et il faut l’éliminer à tout prix. Ce n’est pas le « cléricalisme » qui est l’ennemi, c’est l’Eglise. Par définition même, elle est le grand agent du mal, puisqu’elle demande qu’on obéisse à des forces inconnues, aux ténèbres primitives ; après avoir proclamé le mystère des origines et des fins, elle interprète ce mystère dans l’intérêt du clergé auquel Dieu l’a confié. D’ailleurs ce clergé n’est-il pas Dieu en personne, puisqu’il incarne sa volonté et tient dans ses mains les clefs du ciel et de l’enfer ? Il peut donc, en sa toute-puissance, asservir les hommes comme un troupeau de brebis, en faire autant de choses sans droit, sans personnalité, sans pensée ; et il y réussit trop souvent. C’est un fait des plus tristes que le vide de l’esprit, le goût de la niaiserie, la puérilité subtile constatés chez beaucoup de personnes dont le clergé a dirigé l’éducation et aussi parmi religieux, religieuses, curés mêmes[1].

La puissance de renouveau n’appartient qu’aux hommes animés d’une idée nouvelle. Tout le moyen âge avec ses saints et ses diables s’est enfui devant Copernic. Toutes les églises catholiques et protestantes ont frémi quand les Lamarek et les Darwin, nouveaux Samson, ont secoué les grands piliers. C’est par les idées mêlées d’actions, non par les prières susurrées au sortir des confessionnaux ou les chapelets égrenés sur le pavé des nefs, que les sociétés se renouvellent.

Il est vrai que les armées de l’Eglise se sont accrues de nouvelles troupes : au clergé dit « séculier » s’est jointe la liste sans fin des ordres « réguliers », des moines et des religieuses. Ces bandes comprennent pré-

  1. Pages Libres, n° 99, 22 novembre 1902.