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ralliement des forces rétrogrades

instant. Ainsi les Romains se christianisèrent ; ainsi les voltairiens se convertissent[1]. Toutefois la grande majorité de ceux qui se rallient à l’Eglise par intérêt n’ont plus rien qui ressemble à la foi et c’est en tout cynisme qu’ils avouent leur évolution. L’Eglise a pour complices naturels tous ceux auxquels il faut des serviteurs à commander : rois et militaires, magistrats et fonctionnaires, jusqu’aux pères de famille qui veulent des enfants sages et d’une élégance raffinée, au risque de leur faire perdre la flamme du regard et la virilité de la pensée.

Un fait capital gouverne ce classement des forces ennemies, c’est que les défenseurs de l’Eglise, quoique se détestant et se méprisant entre eux, ont dû pourtant se grouper en un seul parti. Isolées, leurs doctrines respectives seraient trop illogiques, d’une moralité trop primitive pour qu’elles pussent résister, il faut donc les rattacher à une cause supérieure, celle de Dieu lui-même, le principe de toutes choses ». Ainsi, dans une bataille, les troupes aventurées abandonnent les ouvrages extérieurs nouvellement construits, pour se masser au centre de la position, dans la forteresse antique, accommodée par les ingénieurs à la guerre moderne.

C’est le catholicisme qui bénéficie surtout de cette concentration des forces rétrogrades vers la citadelle religieuse. En plus du repos de la pensée que ressentent d’aucuns dans une croyance à l’au delà, le catholicisme offre un autre soutien dans la vie, il prescrit une ligne de conduite immuable : l’obéissance ; aussi tous ceux qu’effraie le développement de l’initiative individuelle et de l’esprit de révolte se tournent-ils à bon droit en suppliants vers le Pape ; les épiscopaliens d’Angleterre et d’Amérique rentrent en foule dans le giron de l’Eglise romaine.

Le danger extrême que la concentration religieuse fait courir à la société n’est pas que ses dogmes causent un mal direct en changeant à nouveau la mentalité des populations du monde civilisé. Ceux qui n’ont plus la foi sincère et agissante ne peuvent la récupérer ; ils feignent de l’avoir, se le figurent même, mais ils ne l’ont pas. Et c’est précisément cette simulation des croyances qui constitue le mal. On ne croit ni à l’enfer, ni au diable ; on n’a de Dieu qu’une idée vague, panthéiste ou fétichiste, et l’on ne se préoccupe nullement de sa préten-

  1. G. Sorel, Humanité Nouvelle, 10, VII, 1899, p. 35.