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l’homme et la terre. — la religion et la science

cutés étant aujourd’hui d’humeur à se défendre, les haineux, ont trouvé prudent de modérer l’intempérance du langage traditionnel et, par un phénomène de réaction inévitable, les mœurs ont fini, comme les paroles, à s’accommoder au milieu nouveau.

Quelques théologiens orthodoxes, se dressant en pleine société moderne comme les « témoins » laissés par les terrassiers dans une plaine nivelée, maintiennent pourtant avec férocité la doctrine constante de l’Eglise, relativement à la punition des hérétiques : c’est ainsi que l’Histoire contemporaine peut établir de très utiles comparaisons entre le présent et le passé. Le jésuite de Luca, professeur à l’Université vaticane de Rome, dans son livre de jurisprudence ecclésiastique, publié en 1901, s’exprime dans les termes suivants : « L’autorité civile doit appliquer à l’hérétique la peine de mort, sur l’ordre et pour le compte de l’Eglise ; dès que l’Eglise le lui a livré, l’hérétique ne peut plus être délivré de cette peine. En sont passibles non seulement ceux qui ont renié leur foi, mais aussi ceux qui ont sucé l’hérésie avec le lait maternel et y persistent avec opiniâtreté, ainsi que les récidivistes, même s’ils veulent de nouveau se convertir ». Et n’a-t-on pas vu, encore en 1898, le 17 juillet, le catholicisme officiel représenté par les plus hauts dignitaires de l’Eglise célébrer en pompe solennelle le souvenir d’un autodafé de cinq Juifs, brûlés après tortures sur une des places de Bruxelles ? Sous prétexte de congrès eucharistique et d’une fête architecturale, l’Eglise, après un laps de cinq siècles, s’est déclarée solidaire d’un abominable crime, produit de la plus ridicule ignorance, car ces Juifs étaient accusés d’avoir poignardé des hosties desquelles ruissela le sang de l’Homme-Dieu. En nos siècles de lumière, malgré la prétendue séparation des pouvoirs, les tribunaux et les administrations se mettent encore très volontiers au service de l’Eglise pour condamner ses ennemis. L’Index de Rome trouve souvent main-forte chez les juges civils. Ainsi le Testament du curé Meslier, que le parlement de Paris avait fait brûler avant la Révolution française, est également détruit un demi siècle après, comme « attentatoire à la morale politique et religieuse », par le tribunal correctionnel de la Seine (1824), par la Cour d’assises du Nord (1835), par la Cour royale de Douai (1837), par la Cour d’assises de Vienne (1838). De l’un à l’autre, les pouvoirs établis aiment à se rendre des services aux dépens de l’ennemi commun, l’homme libre qui pense librement. L’Inquisition, ce Tribunal