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l’homme et la terre. — la religion et la science

et des nations dominantes s’accroissent incessamment. C’est une préparation indirecte à la grande confédération des hommes.

Le bouddhisme, bien à tort, semble-t-il, est souvent désigné comme la religion qui comprend le plus grand nombre de sectateurs. Du moins a-t-il laissé sa trace et quelques parties de son enseignement dans l’immensité de l’Asie, du cap Comorin jusqu’aux péninsules extrêmes de la Sibérie. Bien plus, grâce à son action sur le catholicisme, la religion primitive de laquelle est née le bouddhisme agit encore surtout le monde occidental par son héritage de cérémonies, de chants, de litanies, d’eurythmie corporelle. Et deux ou trois mille ans après, voici que de nouvelles influences bouddhiques, cette fois d’ordre plus philosophique et plus moral, se répandent encore sur l’Europe et sur l’Amérique pour y faire naître par centaines des sectes de théosophes, nées dans le dogme chrétien, mais cherchant à s’en échapper par une doctrine plus libre, plus en rapport avec les résultats de la science contemporaine. C’est par pitié même, entraînés par l’irrésistible besoin d’entendre des paroles divines qui s’accordent avec leur sens de la justice, que les esprits les plus religieux ont fui le christianisme avec son « enfer qui ne s’éteint point » et ses malédictions éternelles ; et nulle part que dans le legs des ouvrages bouddhiques, ils n’ont trouvé de paroles d’un mysticisme plus doux et plus tendre, plus consolant pour ceux qui ne préfèrent pas à tout l’âpre combat du travail contre l’illusion et contre l’erreur. L’influence religieuse de l’Inde sur la Grande Bretagne a certainement plus d’importance dans le développement humain que la totalité des conversions obtenues par les missionnaires aux Indes.

Chaque religion présente de grands contrastes entre ses deux catégories de fidèles, ceux qui cherchent à se pénétrer d’un idéal d’élévation infinie et les simples observants qui, par le nombre des règlements, cessent d’avoir un seul moment de vie libre pour sentir ou pour penser. A cet égard, le bouddhisme est bien certainement la religion qui nous offre les extrêmes les plus étonnants. D’un côté des âmes pures dont le souffle même n’est que bonté, et de l’autre des êtres stupides, abrutis, qui n’entendent que le bruissement de leur moulin à prières. Ainsi les moines bouddhistes du Siam, du Tibet, de la Mongolie sont tellement tenus par les observances et gênés par les interdictions, que la vie leur serait devenue absolument impossible si des novices et des servants, de même que le menu peuple, ne travaillaient pour eux. La règle défend