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l’homme et la terre. — la religion et la science

les soumet aux mêmes influences : c’est tout naturellement que l’amitié et la solidarité des pèlerins créent la grande union de la foi entre le Maghreb des bords de l’Atlantique et la province chinoise de Yun-nan. Toutefois les expéditions des visiteurs de La Mecque, de même que jadis celle des croisés marchant vers Jerusalem, ne sont pas dues uniquement au fanatisme religieux : l’amour des aventures, la curiosité de voir des pays et des hommes, enfin et surtout l’instinct du trafic y ont une grande part ; les chemins de pèlerinage sont aussi des voies commerciales par excellence et mainte caravane a son marché journalier. Vambery attribue aux nombreux voyages des Persans vers les sanctuaires de Kum, de Meched, de Kerbela le sens pratique et la vive intelligence qui distinguent cette nation. Les pèlerins s’instruisent en voyageant et deviennent de beaucoup supérieurs à leurs voisins sédentaires[1]. D’ordinaire, le hadj de La Mecque qui ne fait pas de ses souvenirs de voyages une exploitation lucrative et n’a pas un intérêt direct à se fanatiser a l’intelligence plus nette et par conséquent moins de naïveté religieuse que son compatriote resté sédentaire.

Les contrées où l’invasion de l’Islam présentait naguère le mouvement le plus sérieux sont les divers États de l’Afrique centrale, où la supériorité des connaissances de l’Arabe et la simplicité majestueuse de sa foi assuraient au mahométisme un incontestable ascendant. Malheureusement pour l’extension de l’Islam, tous les adorateurs d’Allah qui pénètrent dans l’intérieur du continent noir, Arabes, arabisés ou nègres du bassin nilotique, ne sont pas tous des pèlerins, des voyageurs ou marchands inoffensifs : les négriers qui trafiquent encore de chair humaine dans les ports de l’Océan Indien sont aussi, des musulmans et leur exécrable métier n’est pas de nature à faire aimer la religion qu’ils professent, ils ne peuvent être à la fois tortureurs et convertisseurs. En outre, les guerres d’extermination dans lesquelles ils se sont engagés avec les troupes des puissances européennes ont eu pour conséquence le brusque refoulement de la prépotence arabe sur le littoral de la mer des Indes. De même sur la côte de Guinée et dans tout le bassin du Congo, les diverses religions chrétiennes et, bien plus que ces cultes de l’Occident, l’influence européenne et la pression de la grande vie universelle s’opposent comme des digues à l’envahissement des croyances musul-

  1. Sittenbilder aus dem Morgenlande, p. 274.