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l’homme et la terre. — la religion et la science

l’unité de l’empire, à l’ouest dans le Kan-su, au sud dans le Yun-nan ont accommodé leur foi au culte des ancêtres, c’est-à-dire qu’ils pratiquent les rites nationaux dans leur part la plus essentielle. De même, les musulmans hindous qui, par le nombre, constituent le gros de l’armée mahométane, ont mêlé à leurs cérémonies bien des formes qui les feraient considérer comme des hérétiques par leurs coreligionnaires d’Arabie. Même les plus zélés de tous les musulmans, les Senousiya, dans lesquels on a voulu voir des fanatiques acharnés au meurtre des infidèles et à la propagande constante en faveur de la guerre sainte (H. Duveyrier), ont cependant presque toujours très noblement pratiqué les devoirs de l’hospitalité envers le voyageur blanc, et les guerres entre mahométans et soldats des puissances chrétiennes n’ont jamais eu pour origine que l’attaque directe ou l’oppression de la part des Européens. Si des adorateurs d’Allah ont gardé toute la foi des anciens jours et leur sainte horreur pour le profane, la très grande majorité des prétendus disciples du prophète n’a de religion que l’apparence. On ne voit guère que les marabouts, c’est-à-dire ceux qui vivent de leur foi fictive ou réelle, se livrer à des invocations et pratiquer les ablutions réglementaires. Les Musulmans se bornent d’ordinaire à certains actes extérieurs, comme les catholiques indifférents dont les doigts ont gardé le mouvement machinal du signe de la croix. Le jeûne du Ramadan, comme chez les catholiques le maigre du vendredi, est la pratique par excellence qui constitue toute la religion des mahométans oublieux de la ferveur des ancêtres.

On dit que, pendant le dix-neuvième siècle, l’Islam a gardé son caractère belliqueux partout où il s’est trouvé en contact avec d’autres religions ; toutefois le caractère confessionnel des guerres suscitées resta en général essentiellement secondaire et les différences de culture, de langues, de mœurs, d’intérêts économiques furent presque toujours les causes premières des conflits. Il en est ainsi des guerres de la Maurétanie entre les Français et les Arabo-Berbères ; des luttes si fréquemment renouvelées dans la Balkanie entre Bulgares, Serbes, Macédoniens, Albanais, Turcs et Russes ; des expéditions anglaises dans l’Afghanistan, des campagnes russes dans le Turkestan et des révolutions des Hoï-Hoï et des Panthé dans l’empire Chinois. Vraisemblablement, il y aura d’autres conflits, mais, de plus en plus, les prétextes religieux s’effaceront devant les causes nationales et surtout devant les causes sociales.