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l’homme et la terre. — la religion et la science

dans les sciences profanes, protestent-ils contre cet état de choses, voulu d’ailleurs, ils ne devraient point l’oublier, par Dieu lui-même, si l’on en croit le premier chapitre de la Genèse. La religion y interdit à l’homme de toucher au fruit de l’arbre de la Science, trop savoureux pour nous, et maintenant, à son tour, la science révèle que les fruits de la religion ne nourrissent pas l’homme.

Toutefois cette antinomie irréductible, soutenue de part et d’autre par des champions ardents, est un fait relativement moderne, puisque science et religion se confondaient autrefois, provenant également de la recherche des causes. L’homme ne peut admettre qu’il ne comprend pas les apparences du monde qui l’entoure : il veut se les expliquer à toute force, mais il ne se montre pas difficile sur les raisons qu’on lui donne et souvent il se contente d’un mot, de paroles dépourvues de sens, qui, plus tard, dans les dogmes religieux, prendront le nom de « mystères ». C’est ainsi que, à son origine même, la recherche de la vérité se mêle d’erreurs et d’un bagage inutile de phrases ne signifiant rien. Le coupable est le père qui répond par à peu près aux « pourquoi » de son enfant, ou bien l’homme de génie qui se trompe sur l’explication des phénomènes de la nature ambiante. Néanmoins l’un et l’autre furent les premiers savants pour de plus ignorants qu’eux et, chez les peuples primitifs, le piagé, le chamane, le mage, de quelque nom qu’on le désigne, est à la fois l’instituteur et le prêtre : les deux offices n’y sont pas encore différenciés. Celui qui apprend par l’observation directe et qui donne un corps à ses fantaisies sur l’au delà vaticine d’une même voix la vérité et la chimère.

Mais tout progrès en connaissance devait amener forcément la séparation des éléments primitifs, devenus de nos jours la religion et la science. Toute découverte préparait à une lutte entre le nouveau venu et le mage antique auquel la foule avait jusque-là reconnu le privilège du savoir. Le novateur révolutionnaire ne pouvait renoncer à proclamer ce qu’il croyait être la vérité et maintenait son dire envers et contre ceux dont les enseignements se conformaient encore aux anciennes formules ; de son côté, le conservateur, dont les imprudents venaient attaquer la position, menacer la gloire, défendait énergiquement les « droits acquis », employant toutes les armes qu’il avait à son service, surtout celles qui étaient assez puissantes pour supprimer la voix de l’adversaire. C’était la guerre à outrance entre la « vérité » de la veille et