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l’homme et la terre. — l’industrie et le commerce

sont-ils pas le Peuple du miracle, et le Seigneur qui les guide n’a-t-il plus la force de son bras ?

De tout temps, depuis la grande dispersion des Juifs par les armées romaines, la Palestine garda quelques résidants de l’ancienne nation, soit des fanatiques cachés dans les cavernes ou dans les ruines, soit des malheureux vivant de rapine et de mendicité. Grâce au rétablissement d’un régime de paix entre les cultes, le nombre des Israélites, rappelés dans la mère-patrie par la fascination du saint lieu, était devenu assez considérable. Au milieu du dix-neuvième siècle, on en comptait une vingtaine de mille à Jerusalem, près du double dans l’ensemble de l’ancienne Terre Sainte. Mais la grande majorité de ces Juifs n’étaient autres que des parasites déchus, s’imaginant que leurs prières et leurs redites leur donneraient le droit de vivre aux dépens des fidèles du monde entier. Ils réclamaient comme leur dû la chaluka, c’est-à-dire le budget de bienfaisance et de piété recueilli dans les villes de l’Europe, et lorsque des novateurs pensèrent à utiliser ce budget pour encourager le travail, non pour faciliter la paresse, la sainte populace poussa des cris d’indignation.

Deux autres classes de Juifs s’opposèrent à l’idée d’une restauration du peuple d’Israël par l’émigration en Palestine : les Juifs complètement européanisés, qui ne parlent pas hébreu, qui ignorent même le jargon judéo-germain et qui ne pensent plus à la juive, et les « Pieux » par excellence, les Khassidim, qui ne veulent à aucun prix reconnaître dans leur « Terre Sainte » la suzeraineté d’un maître impie et qui ne rentreront dans le pays que l’Eternel leur a donné que sous la direction de leur Messie, le Juge des Vivants et des Morts. De ces opposants, les uns ne sont plus de véritables Juifs, les autres le sont à outrance et refusent de s’accommoder lâchement au monde tel que l’ont fait les Gentils. Mais entre les deux partis extrêmes, il y a place pour les « opportunistes » qui acceptent de rentrer dans la terre des aïeux en demandant la protection du Sultan, en se faisant les clients des consuls européens. D’ailleurs, il s’agit ici d’une expérience économique et sociale du plus haut intérêt. Serait-il vrai que les Juifs, voués héréditairement au brocantage, au petit commerce, au maniement des métaux, soient devenus incapables de reprendre l’industrie des ancêtres et de cultiver les champs, d’élever la vigne et l’olivier ? On avait nié que cette transformation fût possible, mais des Juifs ont voulu prouver par leur exemple qu’ils peuvent