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l’homme et la terre. — l’angleterre et son cortège.

gleterre ne doit-elle pas à sa vassale méprisée ! Combien souvent a-t-elle dû admirer l’entrain et la faconde des orateurs d’outre-canal, que de trésors de verve le génie des Sterne, des Swift, des Sheridan n’a-t-il pas introduits dans la littérature anglaise, et que de batailles gagnées, grâce à l’esprit batailleur des Irlandais ! Voici le témoignage qu’en donne Wellington : « C’est surtout aux catholiques irlandais que nous devons notre fière supériorité dans la carrière des armes et que je suis personnellement redevable des lauriers dont il vous a plu d’orner mon front ». En conduisant Paddy à la conquête du monde, l’Angleterre assurait à la fois sa propre gloire et la tranquillité dans les misérables campagnes de l’Irlande.

Maintes fois, on a feint la réconciliation ; de véritables concessions ont même été faites sur tel ou tel des griefs que présentaient les opprimés ; mais le grief par excellence subsiste irréparable : le peuple d’Erin est un peuple conquis, la terre qu’il laboure n’est que partiellement à lui, les impôts qu’il paie, et qui sont d’autant plus lourds que sa pauvreté s’est accrue, ces impôts profitent surtout à l’aristocratie des propriétaires étrangers et du gouvernement oppresseur ; même la langue qu’il parle dans presque toute l’étendue du territoire est la langue du vainqueur, car le parler indigène a été systématiquement banni de toutes les écoles, de tous les lieux publics où apparaît le maître, et n’a pu se maintenir que dans les districts relativement barbares où les communications avec le monde extérieur sont restées presque nulles. Maintenant le patriote irlandais revendique non seulement son droit à la terre, à la parole et à l’action libres, il veut aussi récupérer sa langue et il étudie dans l’original la riche littérature des aïeux. Réussira-t-il à remonter la pente qu’une oppression, plusieurs fois séculaire, lui a fait descendre ? Ce serait là un miracle de volonté dont aucun autre peuple n’a encore fourni le témoignage. Du moins c’est l’opprimé qui tient son maître et tant qu’on ne lui aura point rendu son autonomie, tant qu’il n’aura pas repris son home-rule, la Grande Bretagne restera privée de sa libre initiative dans la grande activité mondiale. L’Irlande est bien le vautour qui ronge le flanc du Prométhée britannique.

Non encore réconciliée avec la population de l’île voisine, la Grande Bretagne cherche à ne faire qu’une nation avec ses « filles », les colonies