Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome VI, Librairie universelle, 1905.djvu/392

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
372
l’homme et la terre. — l’industrie et le commerce

expédiés dans la Guyane, d’où ils ne sont point revenus. Du moins dans l’Europe orientale a-t-on dû les respecter davantage à cause de leur grand nombre : ainsi, en Hongrie, où ils sont près de cent mille et où leur talent musical les rend absolument indispensables dans toutes les noces et fêtes de villages, on les a, de
Cl. Emil Schmidt.
juif blanc, marchand à cochin, malabar
force, fixés au sol en leur donnant des terres qu’ils finissent par cultiver comme leurs voisins d’autres races.

Le Juif est aussi un de ces étrangers que l’on hait, non point à cause de ses défauts dont le prétendu Aryen d’Europe ou d’Amérique serait indemne, mais précisément en vertu du vice que l’on partage avec lui. On l’accuse d’aimer trop l’argent et de se le procurer bassement. Or, n’est-ce pas là ce qu’on pourrait reprocher aussi à tous ceux, de quelque race ou de quelque religion qu’ils soient, qui vendent à faux poids des marchandises avariées, à tous ceux qui acceptent de celui qui les salarie des outrages ou du moins des paroles, des gestes de mépris, à tous ceux qui ramassent l’argent dans le sang et dans la boue ? Ils sont légion. Même l’éducation que l’on donne presqu’universellement à la jeunesse consiste à lui enseigner de réussir quand même. Et si, dans la concurrence, le Juif est plus heureux que le soi-disant chrétien, celui-ci ne déteste-t-il pas son rival parce qu’il obéit à une jalousie d’esclave ? On lui en veut à la fois de ses vilenies personnelles et de celles que l’on commet en essayant de le distancer dans la course vers la fortune.