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l’homme et la terre. — l’industrie et le commerce

dans un compound, carré de baraques en fer blanc, entourant une piscine. Une infirmerie, une pharmacie, un magasin où l’on peut acheter ce que la Compagnie permet de vendre, enfin quelques remises et dépôts complètent le campement. Pendant le temps de la captivité, le travailleur est retranché de toute communication avec l’extérieur ; chaque jour on examine ses habits et on sonde les ouvertures de son corps ; celui d’entre eux qui manie la terre à diamants doit apprendre à ne se servir que de mitaines sous la surveillance des blancs. Enfin, on ne quitte sa prison qu’après avoir été soumis à une forte dose d’huile de croton. Ce système a été perfectionné. La main-d’œuvre indigène étant, parait-il, insuffisante, ce sont, depuis la guerre du Transvaal, des Chinois qui travaillent au Rand[1] ; une grande continuité a été obtenue en portant la durée d’engagement à trois ans ; d’autre part, la distance qui sépare ces ouvriers du corps de leur nation donne beaucoup de sécurité aux propriétaires et directeurs de mines : ceux-ci pouvaient craindre auparavant que la population noire, cinq ou six fois plus nombreuse que les blancs, prit conscience de sa force et entrât dans les voies de la rébellion. Quant aux ouvriers de sang européen, ils habitent un quartier luxueux, commode, élégant, composé de belles villas ; mais ils ne sont pas plus libres : eux aussi ont à rendre compte de leur conduite, de leurs opinions, de leurs idées ; leur vote appartient au maître sous peine de renvoi[2].

Les braves gens qui déplorent la « lutte de classe », sans s’occuper d’y porter remède, citent avec complaisance l’argent dont se privent les travailleurs en déclarant la grève. De fait, les salaires abandonnés chaque année arrivent à faire des sommes élevées ; elles sont pourtant infimes comparées au résultat d’un autre calcul : personne hormis les ouvriers ne s’avise de computer ce qu’ils perdent durant les périodes d’activité par le fait de salaires inférieurs au « produit intégral du travail ». Donc, la tactique ouvrière, considérée au point de vue étroitement pécuniaire, se solde généralement par un bénéfice, en dépit des privations de toute nature qu’entraine la cessation du travail. Quant au « manque à gagner » qu’implique la grève pour ceux qui « font travailler », on la passe volontiers sous silence pour ne pas devoir en avouer le montant.

Il est évident qu’en obéissant à cette fureur de l’intérêt privé qui fait

  1. Au nombre de 50 000 en 1906.
  2. S. Passarge, Globus, 3 Februar 1900.