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l’homme et la terre. — l’angleterre et son cortège.

valu aux Anglais une grande réputation de grand « sens pratique ». à l’épreuve de toutes les fantaisies modernes, de toutes les utopies géniales. C’est donc avec une prudente réserve que les réformistes, et ils sont très nombreux en Angleterre, partent en lutte contre tel ou tel abus. Très décidés à ne pas tomber dans l’idéalisme, à repousser les formules abstraites, ils limitent fort étroitement leur champ d’action et nombre d’entre eux ne s’attachent qu’à un seul problème : politique, hygiénique, social ; question du pain à bon marché, de la vaccination ou bien encore de la loi sur les maladies contagieuses. En se passionnant pour un fait, ils ne cherchent pas toujours à le rattacher aux autres faits du même ordre pour en étudier les origines communes ou en déduire les conséquences analogues. Tout Anglais intelligent étant nécessairement plus ou moins socialiste, par philanthropie ou par conviction, il tâche de l’être seulement sur un point déterminé strictement. Novateur pour une idée, il peut se dire et se croire résolu conservateur dans ses principes. N’a-t-on pas vu, à diverses reprises, le congrès des Trades-Unions, comprenant les délégués de sept ou huit cent mille travailleurs, voter en faveur de la prise de possession collective des instruments de travail, quoique l’épithète de « socialiste » eût été certainement repoussée par la grande majorité des votants ?

Quelle que soit leur réputation d’hommes pratiques, les Anglais se sont pourtant montrés le plus imprévoyant de tous les peuples, à un certain point de vue, c’est celui qui, dans le courant de la première moitié du dix-neuvième siècle, leur a fait délibérément abandonner l’amélioration et même pour ainsi dire l’usage de leur propre sol, pour se consacrer, avant toute chose, à l’industrie et au commerce. Leur situation, absolument prépondérante à cette époque, ne leur a pas permis d’envisager le cas où d’autres peuples seraient en état de menacer leurs lignes de communication maritime. Aucun peuple autant que celui de la Grande Bretagne n’a des besoins de nourriture à satisfaire, et aucun n’est moins capable d’y faire face par le produit de son agriculture. Pour ne citer qu’un article de première nécessité, le blé, la production insulaire n’atteint guère que 18 à 20 % de la consommation. Les colonies anglaises, Canada, Inde, Australasie, en fournissent à peu près autant, et le reste est acheté aux Etats-Unis, à l’Argentine et ailleurs. De là, la nécessité pour l’Angleterre d’assurer, coûte que coûte, le libre parcours de sa flotte commerciale. Une longue évolution