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l’homme et la terre. — l’angleterre et son cortège.

magnifique corps d’officiers, y compris des majors et des maréchaux ? La grande ambition de l’Anglais est d’être un gentleman, et l’on doit constater que vraiment beaucoup d’entre eux le sont devenus, plus nombreux certainement parmi les travailleurs, ouvriers et paysans que parmi les oisifs des « dix milliers d’en haut ».

La fidélité aux survivances, qui se manifeste dans le maintien scrupuleux des anciennes formes cultuelles alors que le fond même a disparu, se retrouve à un égal degré dans les rites de tradition monarchique. Des costumes du moyen âge, des formules incomprises en un prétendu français normand, des gestes dont le sens symbolique est discuté par les archéologues se rattachent aux cérémonies royales et tous les comparses officiels ou bénévoles s’y conforment avec un scrupule religieux. D’ailleurs les survivances de tout âge et de toute nature sont si nombreuses en Angleterre que l’observateur le plus méticuleux des traditions peut s’y perdre ; il se borne donc à les respecter, sans pouvoir se conformer à toutes puisqu’elles sont contradictoires. De vieilles chartes sont en conflit direct avec des règlements d’autres origines et, suivant les lieux et les individus, on en modifie l’observance. Dans la plupart des grandes villes, la confusion créée par les précédents, qui s’entre-croisent suivants les diverses traditions et juridictions municipales, amène un tel chaos que les habitants ignorent souvent à quelle législation locale ils doivent obéir, car ils appartiennent à plusieurs quartiers dont les frontières chevauchent et s’entrecroisent : autant d’intérêts différents, autant de divisions particulières ; autorités religieuses, administrations fiscales ont chacune des domaines séparés avec enclaves et exclaves ; les eaux, les égouts, les ports, la police ont leurs ressorts respectifs, et nul jurisconsulte ne peut, sans une longue étude, sans un flair divinatoire, en reconnaître toutes les complications. Londres est même restée jusqu’à un certain point une ville autonome, indépendante de la Grande Bretagne, puisque, de nos jours encore, son Lord-maire et ses aldermen prennent part, en droit fictif, à la proclamation du nouveau souverain. Jusqu’au quatorzième siècle, la ville était constituée, au point de vue juridique, en un État distinct, car « la paix du roi », proclamée dans son enceinte, ne s’étendait pas au reste du royaume[1]. Souvent le Parlement doit intervenir pour déblayer tout un

  1. Francis Palgrave, — Ernest Nys, Recherches sur l’Histoire de l’Economie politique, pp. 35, 36.