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l’homme et la terre. — l’industrie et le commerce

centrale dont tous les mouvements rythment ceux de l’ouvrier ; la houille, retirée des profondeurs de la terre, transforme son calorique en force vive pour mettre en branle tout un immense organisme de leviers, de bielles, de pistons, de roues, d’engrenages, de volants et d’hommes. La force mise au service de l’industriel se fait illimitée et les produits s’entassent pour un nombre toujours plus considérable de consommateurs. Le Vulcain que la science avait enchaîné pour lui forger des armes et des outils ne se repose plus.

Tout d’abord, la grande industrie avait pris un aspect barbare, féroce, titanesque. Les machines, non encore bien assouplies aux œuvres que le fabricant leur demandait, avaient des formes lourdes, compliquées, bizarres ; placées en des constructions qui s’étaient élevées en vue du travail à la main et avec l’emploi d’outils héréditaires de faible dimension, elles ébranlaient les planchers et les murs de leur fracas ; la vapeur, les matières charbonneuses, les gaz dégagés par les fermentations viciaient l’atmosphère ; les débris de l’ancien outillage gisaient dans les cours malpropres et nauséabondes, et les ouvriers, pris entre des habitudes invétérées et les ordres reçus, livraient un travail irrégulier, sans élégance : le vieux rythme ne se retrouvait plus dans la cadence des mouvements, dans le groupement des travailleurs, dans l’acheminement des œuvres vers la perfection voulue. Mais les découvertes succédant aux découvertes, le système à la routine, on a pu transformer complètement l’ancien outillage ; les travailleurs de l’industrie se sont parfaitement accommodés au nouvel état de choses, ils ont appris, pour ainsi dire, à vivre dans le feu, au milieu des courants électriques, au centre même de la lutte entre les forces du chaos primitif, à en devenir absolument les maîtres, et cela sans effort, par des gestes tranquilles et dominateurs : ils appuient sur un levier, déplacent une aiguille, touchent un bouton, et tout change à leur gré, en une mesure précise et suivant un rythme dont ils règlent chaque oscillation.

Le personnel de l’industrie n’a plus les mêmes noms qu’aux temps antiques : à de nouvelles œuvres, il faut de nouveaux organes. Pour une besogne traditionnelle que le fils, apprenti respectueux, n’avait point à modifier, il suffisait de connaître les matières premières, toujours les mêmes, les procédés, pratiqués scrupuleusement comme des rites religieux, les formes préférées des grands marchands et des rois, et ces formes ne devaient point manquer d’imiter celles qui plaisaient