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développement de l’industrie

comme autant d’hérésies : c’étaient en effet des blasphèmes à l’adresse du convenu, des attentats contre la routine. Ainsi, la houille, qui, naguère, avant l’emploi du pétrole et l’utilisation des chutes d’eau, fournissait la force motrice à presque toutes les manufactures modernes, avait d’abord été proscrite parce qu’elle portait tort aux marchands de bois ou à d’autres industriels privilégiés. En 1305, les artisans d’Angleterre ayant pris l’habitude d’utiliser le charbon minéral pour leurs foyers, les gens riches s’en offensèrent, sous prétexte de la mauvaise odeur du combustible, et, après enquête, le roi Edouard Ier promulgua un édit punissant de peines sévères le sujet coupable d’avoir introduit le charbon minéral dans une ville d’Angleterre. L’autorisation ne fut accordée qu’en 1340, et encore à quelques fabricants protégés seulement ; cent ans encore durent s’écouler avant que l’usage de cette matière fût librement permis. En France, sous Henri II, les maréchaux-ferrants qui employaient à Paris le charbon de terre étaient condamnés à l’amende et à la prison[1].

En Allemagne, mêmes obstacles au début. L’emploi de la houille y fut longtemps regardé d’un mauvais œil par la « science » des médecins, qui l’accusaient de produire l’asthme, la phtisie et d’autres maladies graves chez les chauffeurs. On attribuait l’esprit de révolte des Liégeois au charbon qu’ils employaient[2]. Les injustices des princes évêques, l’oppression qu’ils faisaient subir à leurs sujets auraient pu être attribuées à la denrée pernicieuse avec autant d’à propos. De même, toutes les inventions qui succédèrent à l’emploi de la houille furent régulièrement décriées, ridiculisées ou même interdites, et l’on sait combien il fut difficile d’introduire l’usage des chemins de fer dans les divers pays de l’Europe occidentale, les esprits les plus judicieux s’étant mis d’accord pour déclarer que jamais locomotive ne pourrait gravir les pentes ni remorquer derrière elle des wagons chargés. Les savants niaient jusqu’à l’évidence même, ne voulant donner raison au fait contre l’enseignement classique.

Une fois en marche, les ateliers des manufactures ne se sont point arrêtés ; cependant ils ont été plus d’une fois ralentis par les guerres internationales et les révolutions intestines. Leur grand développement à rapidité toujours accrue, leur essor vertigineux qui permettait aux

  1. Paul Noël, Origine et analyse du charbon de terre.
  2. A. Boghaert-Vacké, La Nature, 1er janv. 1898, p. 71.