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l’homme et la terre. — la culture et la propriété

lancé contre les « utopistes », contre les « songe creux » rêvant de la jouissance équitable des biens de la terre par tous les hommes. On se garde bien de mettre en avant la redite d’autrefois sur le manque du pain. « Puisqu’il n’y en a pas assez, il faut bien que les pauvres s’en passent ! » Non, personne n’ignore que le blé est en suffisance pour tous, et l’on a dû recourir à un argument de second ordre, que chacun a entendu mille fois ! « Mais enfin, dans votre société de l’avenir, pour qui réservez-vous le Sauterne et le Clos-Vougeot ? »

Commençons par les céréales, l’élément principal de la nourriture. La production moyenne du blé froment en Europe, dans le Nouveau Monde, dans la Chine septentrionale, dans l’Inde et dans quelques colonies africaines, telles que l’Algérie et l’Afrique australe, dépasse un milliard d’hectolitres. Or, le nombre des hommes qui mangent du pain de froment n’est qu’une minorité : on ne peut l’évaluer à plus de 300 millions d’individus ; si tout le blé était transformé en farine, il en donnerait plus de 80 milliards de kilogrammes, soit plus de 600 grammes de pain par jour et par tête, ce qui est inférieur à la moyenne de l’alimentation normale pour les mangeurs exclusifs de pain, d’ailleurs relativement rares, mais ce qui est très supérieur à la proportion de pain consommé par le civilisé d’Europe ou d’Amérique. A la production du blé froment, il faut ajouter d’autres céréales servant à la fabrication du pain et faisant partie de la nourriture des populations de souche européenne et des noirs américains qui se sont rattachés aux mœurs des blancs. Le seigle et l’orge, l’avoine, le maïs et autres grains en dehors du riz, qui entrent dans l’alimentation de l’homme et des animaux, fournissent une récolte moyenne de beaucoup supérieure à deux milliards — d’hectolitres : c’est une énorme quantité de substance nutritive dont plus de la moitié, destinée à la fabrication du pain et des mets comestibles, suffit aux besoins de 300 millions d’hommes ; une très forte proportion de ces grains est, d’autre part, employée à la fabrication de la bière et à divers usages industriels.

Quant au riz, la céréale par excellence pour les deux cinquièmes du genre humain, peut-être bien pour une proportion encore plus considérable, la production n’en est pas connue d’une manière suffisamment approximative pour qu’il soit possible de se prononcer avec des chiffres à l’appui. On sait en quelle partie du territoire chinois le riz est la denrée de principale culture et l’on sait aussi d’une manière géné-