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l’homme et la terre. — la culture et la propriété

fertilité du sol et des conditions avantageuses du climat. Que l’on compare la partie de la Russie d’Europe située au sud du 60° de latitude et la Belgique, par exemple : la densité de population est huit fois moins élevée dans le grand empire que dans le petit royaume ; l’existence de l’habitant y est bien moins assurée et, pourtant, la Russie comprend des étendues d’une fertilité légendaire. L’Inde contient à peu près autant d’habitants au kilomètre carré que la France ; il n’y manque ni les plaines abondamment arrosées ni le soleil vivifiant. Si l’homme savait se servir de cette terre, elle serait l’un des grands centres d’approvisionnement du globe. D’un autre côté, prenons les îles Normandes, pays qui se suffit évidemment à lui-même. Elles jouissent d’un heureux climat, mais qui n’a rien d’exceptionnel dans l’Europe atlantique. Si les insulaires font venir du dehors des denrées coloniales depuis les épices jusqu’aux bananes, s’ils importent de la viande de boucherie et de la farine, leurs fermes fournissent du lait, du beurre, du fromage, de la volaille et des œufs en telle quantité que le petit archipel constitue un appoint important pour la nourriture de la métropole anglaise ; en outre l’Angleterre importe un grand nombre de vaches laitières venues de Jersey et de Guernesey ; enfin ces îles se livrent à l’industrie des primeurs et, dans des serres qui couvrent des hectares, forcent des légumes et des fruits mis en vente à Londres au début de l’hiver. En valeur et même en poids, la balance des produits entrés et sortis est grandement à l’avantage de la culture locale, et pourtant la population spécifique atteint à Guernesey huit habitants par hectare, chiffre dépassé dans nos statistiques par celui de l’île Tsung-ming seulement.

A priori donc, on pourrait éviter d’entrer dans le détail des chiffres par catégories d’aliments : les disettes ne proviennent ni d’un refus du sol ni d’un trop grand nombre de participants au banquet de la vie, elles doivent être attribuées au seul fait que le travailleur n’a point accès à la terre. Il n’est pourtant pas mauvais de voir la même constatation sortir de l’étude des chiffres.

Sans doute, il est impossible d’évaluer exactement la quantité des aliments que recueillent tous les agriculteurs des deux mondes, car les statistiques ne sont pas régulièrement tenues dans tous les pays de production, et ne sont pas comparables entre elles dans tous leurs détails ; mais les renseignements annuels, recueillis par les spécialistes qui s’occupent du commerce des céréales et contrôlés, discutés par les indus-