Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome VI, Librairie universelle, 1905.djvu/316

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
296
l’homme et la terre. — la culture et la propriété

de la Tunisie à la sécheresse croissante du climat ; toutefois les documents anciens relatifs à la météorologie locale n’ont pas la précision de chiffres qui seul permettrait de se prononcer. D’autre part, il est aussi possible que la pauvreté actuelle du sol provienne de causes purement humaines. C’est un dire ordinaire chez les auteurs arabes qu’à l’époque de l’invasion musulmane en Maurétanie, on aurait pu se rendre de Tripoli à Tanger en cheminant de village à village sous les arbres. En fait, autour de la cité ruinée de Sbeitla, l’ancienne Suffetula, carthaginoise puis romaine, située dans un désert entre Kairouan et Tebessa, l’exploration détaillée du sol a révélé sur un espace de 27 000 hectares l’existence antérieure, outre Sbeitla, de 3 villes, de 15 bourgs, de 49 villages, enfin de 1 007 moulins à huile. D’après les moindres évaluations, ce nombre de lieux habités et de moulins devait correspondre à une population de plus de 40 000 individus et à des plantations de 400 000 oliviers. Maintenant, cet espace, parcouru par 1 500 nomades environ, n’a plus que des tentes posées parmi de maigres broussailles. A l’époque romaine, les cultivateurs des coteaux voisins de la Medjerda retenaient l’eau par tous les moyens possibles ; l’étude d’un grand nombre de plans locaux ont prouvé à Carton qu’il n’y avait de source, ni de simple suintement à la surface du sol, qui n’eussent été captés ; quand la terre ne contenait aucune humidité, on y suppléait à l’aide de citernes. De simples bourgs, même des fermes isolées, possédaient un remarquable outillage de canaux et de réservoirs. Les guerres ont détruit tout cela, comme elles ont détruit les oliveraies de Sbeitla et d’autres lieux. Depuis les fils du désert jusqu’aux Français, tous les conquérants se sont acharnés contre les arbres pour mieux exterminer les habitants. S’il est vrai que les pluies aient été jadis plus fortes qu’aujourd’hui et qu’elles aient duré plus longtemps chaque année, il est très admissible que la cause en soit à la disparition du tapis de verdure, et on peut espérer que le rétablissement graduel de l’olivier, qui s’accommode de la faible humidité que ses longues racines trouvent dans le sol, puisse ramener l’ancienne prospérité agricole.

Si les guerriers, si même les bûcherons et les agriculteurs, tous ceux qui travaillent à la surface de la terre, ont fait du mal, beaucoup de mal temporaire, la mer n’est-elle pas le réservoir commun et ne peut-elle

1. La Tunisie, publication officielle. Tome I, pp. 178, 179. — 2. Carton. Etudes sur les travaux hydrauliques des Romains en Tunisie, p. 17. Revue Tunisienne, 1897.