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l’homme et la terre. — l’angleterre et son cortège.

les commerçants à ne mettre en vente les objets de fabrication allemande que munis d’une inscription bien lisible : Made in Germany. Mais cette précaution même devait porter tort à ceux qui l’avaient prise sans le souci d’améliorer en même temps leur production. L’étiquette sur laquelle on comptait pour détourner les acheteurs les attira au contraire, étant une double recommandation, à la fois pour le bon marché et pour les meilleures conditions de travail.

L’évidence même est que, pour entrer en lutte avec chance de succès contre des rivaux bien préparés, il est nécessaire de se préparer encore mieux et de se débarrasser de tout l’outillage antique pour le remplacer par un matériel nouveau, systématiquement réglé suivant les injonctions de la science. Mais, jusqu’à maintenant, les hommes de sens qui prêchent en faveur d’un renouvellement méthodique de l’outillage anglais ne sont accueillis que par une approbation réticente. On les écoute, on les applaudit même, cependant on cherche toutes sortes de mauvaises raisons pour s’en tenir à la routine. Qu’on prenne pour exemple le retard de plus d’un siècle de l’enseignement britannique à substituer le système métrique, si clair, si merveilleux et définitif dans le maniement des unités de diverses grandeurs, au système traditionnel des poids et mesures, avec leurs divisions inégales par séries de quatre, six, huit, douze et seize, de vingt et vingt et un, de trente-six, de quatre-vingt quatre et même de nombres fractionnaires. Il semble qu’on ait voulu par ces divisions et subdivisions inégales de tout ce qui se suppute et se mesure, non pas faciliter la tâche de ceux qui s’occupent de l’inventaire des richesses, mais au contraire embrouiller les acheteurs dans leurs calculs et se donner comme vendeurs une chance de plus dans les bénéfices. Il fut un temps, en effet, où le commerce avait son hiératisme, ses formules extérieures pour le public et ses chiffres secrets pour le marchand, tout un grimoire à surprises où le naïf du dehors se laissait inévitablement duper. Maintenant qu’il n’y a plus de mystères, l’enfant anglais doit étudier malgré lui toute cette logomachie, et il y passe le meilleur de son temps, au grand détriment de tant d’autres études qu’il n’a plus le loisir d’aborder. D’ailleurs, les mille petits problèmes de commerce et d’épicerie qu’on lui a posés, de même les mille histoires et historiettes ridicules qu’on lui a racontées d’après les saintes annales du peuple élu ne sont pas de nature à lui ouvrir une voie droite vers la connaissance de la vérité dans